Faut-il en finir avec le mot « Seigneur » dans nos Bibles ?

Dans un article du magazine « christianisme aujourd’hui », l’auteur John Bainbridge, consultant en traduction biblique, s’interroge sur la pertinence de maintenir la traduction biblique française du mot « le Seigneur » parce qu’il serait connoté négativement dans l’inconscient collectif et passé en désuétude. Le titre de l’article est :   « Qui en a marre de louer «le Seigneur»? », que vous pouvez lire en intégralité ici

Extraits : 

« Appeler Dieu «le Seigneur» est-il passé de mode? Pour garder sa fraîcheur, l’Eglise a besoin de ressources linguistiques, dans le but de rester pertinente et contemporaine. De quoi bouleverser notre language!Dans la langue française telle qu’elle est parlée et écrite aujourd’hui, l’emploi de «Seigneur» s’est vraiment effondré, et le peu qui demeure n’est pas très joyeux! Il est surtout maintenu dans les histoires fantastiques, comme Le Seigneur des Ténèbres (Seigneur Voldemort) de Harry Potter, Les Seigneurs Noirs des Sith de Star Wars, et Le Seigneur des Anneaux. De manière générale, le titre de «Seigneur» semble s’être approprié des connotations bien moins positives en dehors de la bulle chrétienneS’agit-il d’abandonner cette appellation? Le christianisme d’aujourd’hui pourrait réaliser que : 

1) «Le Seigneur» est souvent un titre contemporain lorsqu’il s’agit d’autorités malfaisantes.  2) «Le Seigneur» n’est pas sacré de son propre sort. 3) «Le Seigneur», au vu de sa grammaire, n’était déjà peut-être pas la meilleure traduction en français au Moyen Age, 4) «le Seigneur» est tout à fait incapable de représenter les divers niveaux d’autorité signifiés dans les langues d’origine. 

Une fois cette réflexion amorcée, les chrétiens pourront repenser comment exprimer et célébrer l’autorité divine, puisqu’il s’agit bien d’un christianisme d’aujourd’hui et non d’hier! »

COMMENTAIRE DU SARMENT

Comme le rappelle l’auteur à la fin de son article, la version anglaise The Message a déjà remplacé le nom « the Lord » par «Dieu» (sur la presque totalité des + de 6 800 occurrences du tétragramme YHWH de la Bible hébraïque).

Les personnes qui travaillent à ce type de projets cherchent à rendre les Écritures mieux compréhensibles par leurs contemporains, ce qui les conduira vraisemblablement à d’autres évolutions linguistiques, concernant des mots, noms et expressions usés parce qu’inemployés depuis longtemps : péché, offrande, sacrifice, diable, démons, crucifier … la liste est longue. Sur le sujet du mot «Seigneur», qui est un titre devenu un nom de Dieu, il sera difficile de retrouver un mot similaire, qui permette de rassembler la richesse du sens qui s’y trouvait, n’en déplaise à John Bainbridge.

Le sujet des noms de Dieu est sensible, et la Bible contient de nombreux noms différents qui sont la plupart du temps des périphrases (le Tout-Puissant «El Shadadaï» ou l’Eternel/Celui qui est «YHWH», ou encore le Seigneur «Adon/Adonaï») qui sont devenus des antonomases (noms communs qui deviennent des noms propres).

Ce n’est pas une petite chose que de toucher au nom de Dieu, ou à l’un de ses noms, même si on trouve que c’est pertinent, et même si un argumentaire étayé semble pouvoir le justifier. Et si Jésus explique à l’apôtre Jean l’interdit de retrancher quoi que ce soit de la révélation contenue dans le livre de l’Apocalypse, nous pouvons penser — à plus forte raison — que ceux qui toucheront au nom de Dieu tel qu’il a été défini au cours des siècles (et le Saint-Esprit ne peut être étranger à ces définitions de Dieu) devront prendre garde à eux-mêmes. Ils en sont certainement conscients.

Re-former ou réformer ?

Devons-nous rendre compréhensible à nos contemporains le message du Salut ? La réponse est oui. Devons-nous changer la structure de la Révélation pour cela ? La réponse est non. Les gens qui cherchent à faire évoluer la perception et l’expression du christianisme sont parfois simplement lassés de la « photo » du Dieu transmis par les Pères et ont simplement besoin de devenir des primo-définissants. Mais si on peut effectivement varier les approches, et re-former (à ne pas confondre avec réformer), Dieu lui ne change pas. Jésus-Christ est le même, hier, aujourd’hui et éternellement. Il est LE Seigneur.

C’est probablement davantage en incarnant nous-même la vérité, en devenant la lumière du monde, que nous rendront la Révélation plus compréhensible à nos contemporains. Car la vérité n’est pas un produit dont l’emballage peut être changé à l’envi, mais c’est une puissance, brute, originelle, qu’on accepte, qu’on reçoit ou qu’on refuse telle qu’elle est, avec sa dimension forcément indéfinissable. C’est un trésor qu’on trouve dans un champ, que nous sommes prêts à acheter au prix de tout ce que nous possédons. Même si c’est un vieux coffre avec de vieilles clés.

La vraie question est donc sans doute celle-ci : la disparition du mot «Seigneur» de la Bible (nous ne connaissons pas actuellement les alternatives qui seront proposées) est-elle le produit d’une démarche culturelle ou spirituelle ? Dans le jardin d’Eden, ce n’est pas d’une nouvelle traduction de Genèse 2/16, 17 dont Adam et Eve avaient besoin, plus littérale, ou plus accessible. Il leur fallait juste un cœur qui ait reconnu et continue de reconnaître la seigneurie de Dieu sur eux.

JP©lesarment.com

8 comments On Faut-il en finir avec le mot « Seigneur » dans nos Bibles ?

  • Le mot Seigneur ne serait plus approprié ? Les personnages actuels auxquels ce nom est attribué ont une connotation assez négative ? Peut-être…
    Ceci étant, comme l’article le souligne, il est très délicat et même dangereux de « toucher » au nom de Dieu dans le sens où c’est toucher et modifier ce que nous appelons la révélation
    De plus, en apocalypse 17, lorsqu’il nous est parlé de Dieu, il est parlé du Seigneur des seigneurs et le Roi des rois.
    Ceux qui lui sont « fidèles » vaincront.
    Je pense qu’en ce qui concerne notre fidélité, elle commence par accepter la vérité de ce qui nous a été révélé
    Ici respecter le nom de Dieu est d’une importance capitale et primordiale

  • Bonjour,
    Une petite erreur dans votre article : Vous avez utilisé le mot antonyme (inverse de synonyme) au lieu du mot anthroponyme.
    Mais merci pour cet article ?.

  • C’est une véritable catastrophe ! Merci de relayer cet article du Christianisme Aujourd’hui. J’espère qu’ils ont publié ça pour faire bouger les choses dans le bon sens ! Et pas dans le mauvais :(. Il y a toute une frange de croyants qui trouvent ça bien, mais j’ai compris il y a peu qu’il y a plein de croyants qui ne croient pas en fait. Ils ont une religion et pour eux, ce genre d’initiative correspond à un dépoussiérage et ils trouvent que c’est positif! Comme si on améliorait le produit, alors que croire, c’est respecter, craindre l’Éternel; croire c’est entrer dans la présence de Dieu en enlevant ses chaussures (ses gros sabots).

    • Vous constatez, je vous cite: « qu’il y a plein de croyants qui ne croient pas…  » En fait, ce ne sont pas des ‘croyants’ au sens biblique du terme mais des ‘professants’. Et ce qui ne manque pas de sel dans cet article pertinent, c’est que précisément ces derniers diront:
      « Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons… »
      “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !”
      « Pourquoi m’appelez-vous ‘Seigneur, Seigneur!’ et ne faites-vous pas ce que je dis? »
      « … vous commencerez à frapper à la porte en disant:
      ‘Seigneur, [Seigneur,] ouvre-nous!’ Il vous répondra: ‘Je ne sais pas d’où vous êtes.’

  • Je dirai à cet auteur John Bainbridge, nolens volens, qu’il viendra un de ces jours que toute langue proclame(ra) : « Jésus Christ est Seigneur ! », pour la gloire de Dieu le Père ! (Philippiens 2:11)

  • Merci pour cet article. Il m’a fait penser à un phénomène que je constate de plus en plus parmi mes amis en Christ : c’est que les chrétiens désignent de moins en moins Dieu sous son titre de « Seigneur ». Les conversations autour des choses spirituelles ou « théologiques » évoquent « Dieu » ou « Jésus », mais Il n’est plus que très rarement désigné comme étant « Le Seigneur ». Idem dans les prières et les louanges : on lui parle en lui adressant toutes sortes de noms (y compris « corrects » ^^), mais on s’adresse de moins en moins à Lui comme étant « Le Seigneur ».
    Du coup, la réflexion qui s’amorce sur la traduction me surprend assez peu : d’abord le peuple cesse de reconnaître nommément le Seigneur comme étant… le Seigneur – et puis, l’usage aidant, les traductions de Bible suivent.
    Comme d’autres questions « polémiques » aujourd’hui dans l’Eglise, je considère qu’il ne s’agit pas ici d’un sujet « diviseur », mais plutôt « révélateur »… en l’occurrence, révélateur de notre état de coeur par rapport à la Parole et l’autorité de Dieu.

  • Bonsoir à tous et un grand merci à Jerome Prekel et à ceux qui ont contribué à cette discussion que je viens de retrouver presqu’un an plus tard! Je me sens privilégié à avoir stimulé ce petit échange, que ce soit en critique, affirmatif ou les deux!

    Pour ceux pour qui la question de la traduction et la préservation de l’autorité divine est intéressante, je pourrais proposer une lecture de l’article publié à la revue Sycomore dont l’article “Qui en a marre” est un peu le sommmaire: http://www.ubs-translations.org/sycomore/autres_numeros/le_sycomore_132_2019/. On y trouve notamment un évantail de propositions en fonction du context à traduire. La question n’est pas du tout de préserver le mot “Seigneur” en français à tout prix, mais d’abord de se demander si EN FRANCAIS AUJOURD’HUI est-ce qu’il y a un seul mot qui porte toutes les significations et nuances capturés en “kyrios”? Hélas, non. Et en Français au moyen âge? Peut-être un peu plus (malgré le problème grammatical qui semble avoir été importé via les traductions latines).

    Cet article est un article cependant positif, j’espère, dans sa force propositionnelle mais j’attendrais vos retours si vous êtes partis pris.

    Quelques remarques:
    – “Toucher au Nom de Dieu”… Pourrait-on courir un risque de se retrouver dans une préoccupation plutôt de préserver la traduction en français de la traduction latine de la traduction greque du nom Hébreu de Dieu… ? Nous pouvons très facilement tomber dans la piège que la Bible était écrit dans notre langue, voire la traduction dans laquelle on se sent le plus à l’aise. Bien entendu que toute langue ne dira jamais en français “Jésus Christ est le Seigneur”! Cette expression est plutôt un véhicule pour l’église francophone à comprendre une soumission globale/multiculturelle à l’autorité de Dieu par Jésus. L’idée de cette soummission est totale. C’est à la fois l’ensemble de la planète et l’intégralité de chaque personne qui la comporte. Il faut des mots qui facilitent cette révélation, qui font sens, pour exprimer ce genre de lâcher prise, cette confiance dans cette autorité immense et aimante.

    – Respecter le Nom (et l’autorité) de Dieu est primordial. Oui. D’où la question de la justesse de sa traduction aujourd’hui.

    Soyez bénis, remplis, John T. Bainbridge.

    PS Je serais curieux de savoir, Jerome, si vous aviez lu l’article du Sycomore, car votre remarque par rapport à Jésus comme LE Seigneur était tout à fait pertinente voire ironique au vu de la problématique grammaticale de traductions porteuses d’article.

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