Le dieu de la convoitise reçoit lui aussi des prières

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Comme tous les ans au début du mois de décembre, la Poste a ouvert son service spécial « secrétariat du Père Noël » à Libourne : 60 personnes dont une trentaine de secrétaires sont engagées pour une mission d’un mois afin de traiter la masse de courrier reçu et acheminé vers ce Centre, dans les semaines précédant Noël. L’an passé, on a enregistré pas moins de 1 700 000 millions de lettres (1 260 000 lettres en 2011) et envois divers : en vrac, des listes de cadeaux, bien sûr, mais aussi … du foin (pour les rênes), des chaufferettes (pour le voyage) et même — signe des temps — un string pour le père Noël !

On raconte que la première personne qui a répondu à un courrier adressé au Père Noël fut la psychanalyste Françoise Dolto, sollicitée par son frère, membre de la haute administration de l’époque (1962). On ne sait pas ce que cette lettre-type contenait, mais la démarche était là, et déjà à l’époque, on enregistrait en moyenne près de 2 000 lettres écrites chaque année.

« Père Noël, route du ciel, pôle nord », « Père Noël, dans les nuages, Groenland » sont quelques exemples d’adresses de ces lettres postées de France pour la plupart, mais aussi de plusieurs dizaines de pays du monde. Parce que le Père Noël est polyglotte, bien sûr[1].

Les chiffres importants des courriers feront sourire, et railler l’initiative peut-être, en considérant l’énergie (et les moyens) qu’il faut engager pour faire face à ce défi … complètement inutile. Le monde se donne bien du mal pour entretenir ses mythes, et pour éviter que se lézardent ses idoles…

Mais revenons aux chiffres : coût d’un employé pendant un mois, au taux horaire minimum + charges patronales : 2 500,00€ x 60 personnes = 150 000,00€. Vu sous cet angle, il faut sans doute se réjouir puisque le père Noël est générateur d’emploi ! Mais le business est bien plus lucratif : si on ajoute  la manne  de 1 700 000 lettres affranchies à 0,56€ (tarif économique) = 952 000,00€, alors là, ça devient une très bonne opération pour la Poste ! Et encore, il faudrait ajouter – en fonction du nombre des réponses – les affranchissements retours, les enveloppes, le papier … L’an passé, j’avais écrit une lettre (pour voir si la Poste se vend un timbre à elle-même pour la réponse), mais le Père Noël n’a pas daigné me gratifier d’une réponse, donc je ne sais toujours pas ☹.

Pourtant ce n’est pas le côté financier qui va retenir aujourd’hui notre attention, mais des lignes plus discrètes, révélées au compte-goutte par la Poste. En effet, il n’y a pas que des lettres d’enfants demandant des jouets, ou transmettant, en guise de liste, des pages de catalogues hâtivement découpées. On trouve également des courriers demandant … de la nourriture (deux paquets de pâtes, dans un exemple précis de l’année précédente) ; le secrétariat rapporte aussi ces lettres de personnes âgées, qui écrivent au « Père Noël » parce qu’elle sont assurées qu’elle recevront une petite réponse gentille, elles qui n’ont plus de contact avec personne, emprisonnées dans leur solitude. Et les secrétaires du « Père Noël » se souviennent de certaines lettres bouleversantes d’adultes demandant un travail, la tendresse, le retour de l’être aimé, ou de cet enfant qui ne demandait rien pour lui, mais qui espérait que sa maman serait sauvée de la maladie… par le Père Noël.

Ainsi, les solitudes et les détresses, qui deviennent plus aiguës dans ce moment festif — au point de faire grimper les statistiques de crises de dépressions ainsi que celles des suicides et tentatives de suicides — s’expriment-elles dans la plus vaine et la plus creuse de toutes les oreilles qu’on puisse imaginer : celle du Père Noël ! Cette histoire de courriers, qui avait commencé en provoquant des sourires amusés, nous interpelle dans un registre un peu plus grave.

LE DIEU DE LA CONVOITISE REÇOIT LUI AUSSI DES PRIÈRES

Que s’est-il passé ? Pour leurs besoins, les hommes se sont fabriqué un personnage éthéré, paternel, aérien (pour ne pas dire céleste), mystérieux, pur produit de leurs imaginations, pour être le messager de leurs dons mutuels ; rien de mal, en somme, si on accepte de fermer les yeux sur tout le mensonge (et le commerce) de la situation, bien sûr. Mais la créature a largement débordé les créateurs, pour s’investir d’une nouvelle mission : écouter le malheureux qui crie, faire croire que les prières de ceux qui souffrent sont entendues et peuvent être exaucées, visiter les malades et les solitaires, laisser espérer de (fausses) bonnes nouvelles aux pauvres. Normalement, ce devrait être la mission de l’Église … signe des temps ?

D’après un sociologue, nous sommes dans une phase où l’on voit s’estomper le fossé entre l’Homo religiosus et l’Homo consumerus : «la religion ne constitue plus un contre-pouvoir à l’avancée de la consommation-monde. À la différence du passé, l’Église (“officielle”) ne met plus en avant les notions de péché mortel, elle n’exalte plus ni le sacrifice, ni le renoncement. Le rigorisme et la culpabilisation se sont fortement atténués en même temps que les anciennes thématiques de la souffrance et de la mortification. Tandis que les idées de plaisir et de désir sont de moins en moins associées à la «tentation», la nécessité de porter sa croix sur la terre s’est effacée[2]». Il s’agit d’une mutation du christianisme officiel, une modification en profondeur de la doctrine judéo-chrétienne, qui prouve encore une fois que le Monde, dans le sens biblique du terme, n’est pas soluble dans la foi religieuse, mais c’est bien le contraire. C’est sans doute le sens de cette parole énigmatique du Christ : «Quand le Fils de l’homme (re)viendra, trouvera-t-il encore de la foi sur la terre ?» (Luc 18/8).

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www.lesarment.com
J. Prekel2013

[1] La première partie de cet article est inspirée de plusieurs articles du journal Ouest-France

[2] Gilles Lipovietsky, «le bonheur paradoxal»

2 comments On Le dieu de la convoitise reçoit lui aussi des prières

  • Je me suis laissé dire que le Père Noël avait même maintenant chaire ouverte dans certaines églises. Il ne peut s’agir que d’églises prenant l’eau de toute part.
    Quant à la foi…

    • Bonjour Jean,
      Oui, une église qui prend l’eau, ça existe. Hélas. On entend parler de plus en plus souvent de ce genre de choses. C’est un piètre témoignage pour une église, alors qu’elle devrait être «la colonne et le soutient de la vérité» (1 Timothée 3/15).

      Dans une église qui prend l’eau, c’est souvent la galère, et les gens qui écopent sont plus nombreux que les gens qui rament, c’est pour ça que ça n’avance pas. Et si (en +) les responsables sont à l’ouest, (sûrement parce qu’ils ont perdu le nord) alors non seulement l’église n’avance pas, mais elle recule, et probablement dans la mauvaise direction. C’est triste.

      Plus sérieusement : Faut-il laisser ces églises livrées à elles-mêmes ? les abandonner à leur errance ? PRIER n’est jamais une mauvaise solution. Prier pour la restauration, prier pour révolution, prier contre l’entreprise de déconstruction, prier pour que le vent de la vérité se lève, et fasse apparaître toute forme de mensonge, de tromperie et d’usurpation. Prier jusqu’à ce que le nuage se lève.

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