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Élisée avait une double portion de l’Esprit qui était sur Élie, et la dimension démultipliée de son ministère a fait de lui un type du Seigneur Jésus, dans les manifestations de la puissance de Dieu : le nombre et la variété des histoires extraordinaires jalonnées de miracles l’attestent (il pouvait guérir de la lèpre, mettre un terme à la stérilité, multiplier le pain et l’huile, ouvrir les eaux du Jourdain, ressusciter des morts – y compris après sa propre mort). On lit ça dans le 2è livre des Rois.
Il aurait donc pu déployer cette puissance d’une manière ostensible, et maximiser les effets de son ministère pour la cause du royaume de Dieu, afin par exemple de faire briller la lumière de l’Éternel dans un temps de confusion et d’apostasie terrible, pour Israël. Le besoin était là. Mais on le voit au contraire rester en retrait de la scène publique, ce qui est difficile à comprendre pour des esprits pragmatiques (qui pensent que la fin justifie les moyens). Et nous ne pouvons pas trouver d’autre explication que celle-ci : ce n’était pas la volonté de Dieu, tout simplement. Ce n’était pas la volonté de Dieu de changer les équilibres, ou plutôt les déséquilibres. Et bien que la puissance soit présente — et dans les grandes largeurs — et que le canal soit là, à disposition, Elisée se tient en retrait, alors que la souffrance du pays et de la population aurait pu le pousser à agir. Cette retenue appelle une réflexion.
Contraste avec le prophétisme moderne
Dans le prophétisme moderne des mouvements les plus charismatiques, on ne retrouve ni la puissance de ces grands ministères, ni leur retenue. Le contenu prophétique des courants contemporains les plus connus s’inscrit dans un effet d’annonce perpétuel, sans qu’on voie se produire les grands bouleversements annoncés, le volume de communication étant inversement proportionnel aux accomplissements. C’est une constante, lorsqu’on s’intéresse un peu à la question. Un exemple parmi tant d’autres :
« Le Seigneur lui-même s’apprête à libérer des ordonnances pour les nations et il rassemble sa famille sur la terre avec sa famille céleste … il libère une nouvelle onction puissante de percée. … Je vais guérir des territoires des nations qui seront des lieux de protection pour les temps à venir. Une convocation vous est adressée, tenez-vous autour de la table des nations, qui se tient sous l’autorité d’un conseil plus élevé pour entendre le son qui est libéré. Ce sont des décrets célestes qui annoncent les stratégies d’en haut. Ces décrets d’autorité sont libérés aux portails de sa gloire pour les nations qui se tiennent ensemble devant les faces de Dieu ».
Ce qu’on peut retenir de cet extrait assez emblématique, où les accents célestes peinent à masquer une sensation de creux, c’est justement l’annonce qu’il va se passer quelque chose — et quelque chose de grand — auquel le peuple de Dieu et le monde vont assister : une sorte de teaser pour un évènement dont la date de lancement est proche, mais floue, ce qui permet d’entretenir la flamme de l’attente.
Courte réflexion sur le véritable Esprit d’Élie
Ce qui caractérise le message prophétique d’Élie, ce n’est pas qu’il appelle le peuple de Dieu « à se tenir à la table des nations » pour entendre « les stratégies d’en haut », mais qu’il ose dénoncer et condamner son péché. Ce qui fait de lui et de son ministère un empêcheur de tourner en rond (au mieux) et un paria (au pire).
À bien y regarder, ce que nous appelons « l’Esprit d’Élie », et qui s’est retrouvé dans le ministère de Jean-Baptiste (Luc 1/17), n’était pas la puissance de faire tomber le feu physique du ciel, mais d’annoncer l’imminence de la venue du feu spirituel sur les pécheurs du peuple de Dieu, et le feu du jugement sur le Monde : « déjà la cognée est mise à la racine des arbres … produisez donc un fruit digne de la repentance » (Matthieu 3/10). Et si la répréhension divine manque cruellement au prophétisme moderne, c’est parce que l’esprit du Monde a pollué l’esprit des prophètes (et de ceux qui se considèrent comme tels) par sa morale égalitariste et son tabou de culpabilisation : il ne faut pas charger les consciences des croyants pour ne pas les affliger outre mesure (en langage biblique : pour respecter leur démangeaison d’entendre des choses agréables[1]).
Le message prophétique devient donc un produit spirituellement altéré, pour ne pas dire frelaté, c’est-à-dire fait par des hommes et pour des hommes, sans cette invitation à dépasser le niveau humain, en s’élevant par la Croix. Au lieu de cela « Ils disent à tous ceux qui suivent les penchants de leurs cœurs : il ne vous arrivera aucun mal ». Ce faisant, « ils fortifient les mains des coupables … S’ils avaient vraiment assisté à mon conseil, ils auraient dû faire entendre mes paroles à mon peuple, et les faire revenir de leur mauvaise voie » (Jérémie 23).
On entend parfois dire que Jésus a principalement formé des disciples à gérer le surnaturel, mais je crois que c’est faux : il a principalement formé des disciples à suivre l’exemple de son obéissance à la volonté du Père, dans un chemin de service, jusqu’au renoncement d’user du pouvoir de la puissance à sa guise, y compris pour faire le bien – ce qui était pour eux une idée incompréhensible. Y compris même pour le développement du royaume de Dieu. Et c’est ce qui est impressionnant dans le ministère d’Élie et d’Élisée : ce qu’ils ont accompli, bien sûr, mais également ce qu’ils auraient pu faire (qu’ils avaient les moyens de faire) et qu’ils n’ont pas fait.
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[1] 2 Timothée 4/3 : « 3Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, 4détourneront l’oreille de la vérité, et se tourneront vers les fables. »