Faut-il se réjouir avec Paul que Christ soit prêché par n’importe qui, et n’importe comment ?

Certains versets sortis de leur contexte, ou isolés de l’ensemble de la pensée de l’auteur, sont parfois utilisés pour justifier le contraire de ce qu’il pensait. Un exemple dans le passage suivant :

« Quelques-uns, il est vrai, prêchent Christ par envie et par esprit de dispute ; … 17 ils annoncent Christ par des motifs qui ne sont pas purs, mais d’autres le prêchent avec des dispositions bienveillantes. 18 Qu’importe ? De toute manière, que ce soit pour l’apparence, que ce soit sincèrement, Christ n’est pas moins annoncé : je m’en réjouis, et je m’en réjouirai encore ».

Ce passage est extrait d’une des dernières lettres écrites par l’apôtre Paul, adressée à l’église de Philippes (1/15, 17, 18), depuis sa prison de Rome. Il s’approche du terme de son parcours. La réflexion citée ici est souvent reprise, de manière inconsidérée, pour absoudre certains ministères sujets à des dérives, ou pour faire preuve de tolérance envers leurs enseignements approximatifs — voire frelatés. L’invocation de cette pensée permettant de faire preuve de bienveillance à leur égard, ce qui colle assez bien avec la pensée de l’époque, fatiguée des conflits doctrinaux, des différents théologiques, des divisions dénominationnelles fratricides, qu’on aimerait faire disparaître parce qu’elles sont des obstacles à l’unité des chrétiens.

L’arrière-plan Paulinien

Lorsqu’on pense pouvoir utiliser cette pensée de Paul dans ce but, on se trompe, et on trompe les autres. Il s’agit d’une idée très humaine qui réfère au bien relatif[1], en opposition (ou en complément) au bien absolu, qui est sans concession. Car Paul n’était pas un relativiste, et surtout pas quant à la prédication de Christ, pour laquelle il avait une révélation supérieure (Ephésiens 3/14). Et nous avons la preuve qu’il était resté un fondamentaliste, même à la fin de sa vie, c’est-à-dire un ministre qui savait tracer une ligne entre la vérité et les erreurs, dans des enseignements dont nous avons des traces écrites, et particulièrement ses toutes dernières lettres (à Timothée et à Tite). Il y défend une position radicale quant au bien absolu, et à l’enseignement de la vérité (qui intègre donc le fait de « prêcher Christ ») :

Tite 1/10 : « Il y a, en effet, surtout parmi les circoncis, beaucoup de gens rebelles, de vains discoureurs et de séducteurs, 11auxquels il faut fermer la bouche. Ils bouleversent des familles entières, enseignant pour un gain honteux ce qu’on ne doit pas enseigner … 13 Ce témoignage est vrai. C’est pourquoi reprends-les sévèrement, afin qu’ils aient une foi saine ».

2 Timothée 4/2 : « prêche la parole, insiste en toute occasion, favorable ou non, reprends, censure, exhorte, avec toute douceur et en instruisant » … 1 Timothée 5/20 : « Ceux qui pèchent, reprends-les devant tous, afin que les autres aussi éprouvent de la crainte ».

Que voulait donc dire l’apôtre ? Sa réflexion s’inscrit dans le cadre de « la prédication de Christ », dont les mobiles doivent être purs, et qui ne le sont pas toujours, ce qui n’est pas un motif de disqualification,  mais n’exonérera pas les intéressés de la répréhension intérieure de l’Esprit, pour les conduire dans une purification intérieure. 

Cela n’implique donc aucune erreur doctrinale, sinon il ne parlerait pas de ceux « qui prêchent Christ ». Dans l’annonce de Christ, il n’y a de place pour aucune fausse doctrine, aucun faux enseignement, aucun espace pour une idéologie néo-chrétienne.

Ces versets ne peuvent donc pas être convoqués dans des cas inappropriés : ce qui est inexcusable doit rester inexcusable ; ce qui est immoral doit rester immoral ; ce qui est condamnable doit être condamné. Pour répondre à la question posée en titre : Christ peut être prêché par n’importe qui, mais pas n’importe comment, et surtout pas en étant assuré que tout le monde s’en réjouira.

L’avenir du relativisme chrétien

On peut prédire sans risque de se tromper une apogée du relativisme chrétien, dans ces derniers temps, pour plusieurs raisons :

  • Parce que la lecture de la Bible est en recul, et que, par conséquent, la connaissance approfondie des Écritures est également en recul ; on voit passer des versets sur nos écrans, mais on ne sait pas (ou plus) définir les principes spirituels auxquels ils réfèrent ;
  • Parce que la recherche et donc la réflexion approfondie sera de plus en plus déléguée à l’intelligence artificielle : la connaissance semblera augmenter, mais pas la Science de l’Esprit.
  • Parce que les points qui précèdent favorisent l’émergence d’un christianisme culturel qui cherche sa place dans le monde, et dont la pensée du monde devient le filtre de compréhension de Dieu;
  • Parce que les derniers temps voient se développer dans l’Homme un ego surdimensionné, enclin à revisiter les choses pour les amener à son niveau de perception et de compréhension ;
  • Grâce au déclin décrit ici succinctement, quasi universel, incluant le recul de l’Église, l’heure de l’œcuménisme est arrivée. Car sans relativisme religieux, l’unité des croyants ne peut pas devenir la doctrine alpha.

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JeromePrekel2025©www.le sarment.com


[1] « Le bien et le mal ne sont pas des grandeurs parfaitement opposées l’une à l’autre ; le bien souvent accouche du mal et la capacité de voir le mal en face est ce qui nous ouvre la capacité d’un bien relatif » (André Glucksman).

[2] Le pays de Nimrod (Genèse 10/10). Schinear : « le pays des deux fleuves », deviendra le pays de Babylone.

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