Utilité spirituelle des antagonismes

Rabbi Yoh’anan et Laquich sont amis. Laquich est un ancien brigand revenu au judaïsme sous l’influence de Rabbi Yoh’anan dont il a épousé la soeur. Pendant plusieurs années, ils furent des h’averim (étudiants des Écritures), et leur collaboration fut extrêmement fructueuse. Un jour, au cours d’une discussion tumultueuse à propos d’un point épineux de la Loi, Rabbi Yoh’anan rappela à son beau-frère son passé de bandit. Ce dernier le lui reprocha et exigea des excuses. Mais Rabbi Yoh’anan persista et rien n’y fit, même sa soeur ne parvint pas à l’adoucir. Ils demeurèrent donc fâchés, séparés et Laquich sombra dans la mélancolie et en mourut.

Rabbi Yoh’anan resta seul pour étudier. Mais il ne le supporta pas, alors on lui amena un grand érudit pour remplacer Laquich. Mais cet homme ne lui convenait pas du tout, et Rabbi Yoh’anan lui dit : « Avec Laquich, chaque fois que j’avançais une hypothèse, il apportait vingt-quatre réfutations, et je devais répondre à chacune de ses objections, et ainsi l’étude prenait de l’ampleur et s’enrichissait. Avec toi, chaque fois que j’avance une hypothèse, tu m’apportes vingt-quatre arguments pour me dire que j’ai raison. Je sais que j’ai raison, ce que je veux, c’est que tu me contredises ! »
Rabbi Yoh’anan sombra à son tour dans la mélancolie et déchirait ses vêtements dans Jérusalem. Il finit par en mourir.

Étrange histoire que rapporte le Talmud, qui fait une certaine éloge de l’amitié, en l’éclairant d’une lumière particulière. Le mot hébreu signifiant « ami » (h’aver) est aussi employé pour définir la personne avec laquelle on étudie le Talmud. Ce n’est pas quelqu’un avec qui on est toujours d’accord en tout et pour tout, bien au contraire. C’est celui qui contredit et oppose des arguments aux certitudes rassurantes, quelqu’un qui ébranle et inquiète, qui remet en question et permet ainsi d’avancer, de ne pas rester figé dans un comportement, une attitude qui, pour être justes, doivent être capables d’évoluer.

Lorsque nous cédons à la tentation d’écarter ceux de nos proches qui nous remettent en question, nous prenons le risque de n’être plus entourés que de flatteurs … ou de menteurs. On finit toujours par mépriser ceux qui sont trop facilement de notre avis, alors que la Bible dit que les blessures faites par un ami sont fidèles (Proverbes 27:6).

Le Sarment2008/D’après un texte de M. Ouaknin

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