Faut-il utiliser l’Intelligence Artificielle dans nos ministères ? demande HelloBible.
HelloBible se définit comme « votre assistant biblique 24/24 » pour vous aider à « explorer la Bible en profondeur ». J’en ai parlé ici, et si j’en reparle aujourd’hui, c’est parce que je suis associé à son développement, d’une certaine manière : moi aussi j’ai testé l’appli, et j’ai tenté, comme on me le proposait, « d’engager des conversations profondes avec la Parole de Dieu, personnalisées grâce à l’IA ». Mon adresse mail est donc entrée dans la (grande) base de données du groupe; et depuis, je suis régulièrement contacté puisque le fondateur, Eric Célerié himself, qui m’envoie des mails personnels pour me tenir au courant du projet, et m’expliquer ce qu’il faut penser de tout ça, l’intelligence artificielle, etc. Et aujourd’hui, l’envie me prend de lui répondre, façon dialogue : ci-joint l’un de ses derniers courriels, et ma réponse en forme de lettre ouverte, pour alimenter le débat :
« Bonjour Jerome,
Faut-il utiliser l’Intelligence Artificielle dans nos ministères ?
C’est une question que j’ai abordée lors de mon intervention dans un atelier du Congrès de Lausanne pour l’évangélisation du monde.
Sous l’étiquette “IA”, se cachent en réalité plusieurs concepts très différents. L’IA générative, celle dont je parle, n’a en soi aucune véritable intelligence. Elle reste un outil, un algorithme. Mais comme tout outil entre nos mains, elle peut devenir extraordinairement puissante lorsqu’elle est utilisée sous l’inspiration du Saint-Esprit.
Le saviez-vous ? Le mot “artificiel” vient du latin “artificialis, signifiant “fait avec art”. Par nature, ce qui est artificiel se distingue de ce qui est créé directement par Dieu – les arbres, les montagnes, la mer. Pourtant, tout ce que l’homme crée – une maison, une voiture, un livre, un smartphone – entre dans cette catégorie de l’artificiel. Ce que nous fabriquons peut, certes, être marqué d’un certain art humain, mais que se passe-t-il quand l’Esprit Saint y ajoute Son souffle créatif ?
C’est ainsi que des inventions comme la presse à imprimer ou les applications bibliques sur smartphone ont transformé la diffusion de la Parole de Dieu. Nous pourrions même imaginer un nouveau terme : “spiriticiel”, une technologie façonnée par l’homme mais animée par l’Esprit de Dieu.
Je prie que HelloBible devienne un véritable outil spiriticiel, une rencontre entre la théologie et la technologie, capable de conduire des millions de personnes dans l’univers inspiré et vivifiant de la Parole vivante du Dieu vivant. N’ayons pas peur de la technologie, quand elle est utilisée pour le bien, pour la gloire de Dieu et l’avancement de Son Royaume.
Comme il est dit dans la Parole : “Car ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais par mon Esprit, dit l’Éternel des armées.” (Zacharie 4:6) Par Son Esprit… Que cette vérité nous guide alors que nous cherchons à combiner sagesse spirituelle et innovation technologique pour un impact global. Que le Seigneur vous bénisse toujours plus,
Éric Célérier, Fondateur, HelloBible »
Réponse du Sarment :
Faut-il utiliser l’IA dans nos ministères ? La réponse à la question est certainement multiple, parce qu’il y a du bon et du moins bon, raison pour laquelle on ne devrait applaudir que d’une main : parce qu’il y a quand même quelques réticences à émettre, au milieu d’une belle exaltation. Et ceux qui s’inscrivent dans la contradiction ne sont pas forcément opposés à la technologie, ou figés par la peur du modernisme.
Une considération d’ordre général et une objection éthique
Un peu partout, la révolution de l’intelligence artificielle fait bouger les lignes et entraîne de grands progrès, mais également la disparition d’emplois, voire parfois de secteurs entiers. On pense aux traducteurs, aux rédacteurs, aux graphistes, aux créateurs (pour ne parler que de ce qui m’est familier). Mais aussi à toutes sortes de conseillers — dont le pasteur fait partie. Je trouve qu’on passe un peu vite sur la commotion socio-culturelle, avec ses drames plus ou moins silencieux. Vu de ma fenêtre, l’ia chrétienne, en offrant au plus grand nombre un contact spirituel personnalisé, pourrait bien favoriser une sorte d’usurpation d’une fonction (le conseil pastoral) dont la qualification première est d’être appelé, formé par l’expérience, et oint. Pour moi ça reste le bon cadre de définition d’un conseiller spirituel, qui exerce au nom de Jésus. Ce qui ne sera jamais le cas avec une redistribution mécanique d’informations bibliques, théologiques et de la régurgitation de conseils pastoraux, à partir de grilles pré-établies.
Mais reconnaissons que le défi spirituel et éthique est difficile et qu’il est probablement impossible d’y voir clair, comme face à toutes les révolutions modernes ; on se souvient de l’apparition de l’automobile : on était tellement emballés par les perspectives, que si un visionnaire avait prédit que la pollution de l’air induite entraînerait la mort prématurée de 8,1 millions de personnes par an dans le monde (chiffres 2021, dont 90% sont dues aux particules fines), on lui aurait expliqué que oui, bon, mais qu’on allait gagner beaucoup de temps, et que cette invention allait révolutionner notre manière de vivre. Et sauver des vies.
L’impact sur l’exercice du service : une objection religieuse
L’intelligence artificielle (avec ses potentialités) ressemble à une comète qui apparait soudainement dans le ciel du monde, et maintenant dans celui de l’Église. Et il n’est pas difficile d’imaginer qu’elle va entraîner la disparition d’une espèce déjà bien menacée, celle du pasteur « à l’ancienne » qui construisait ses messages à genoux (ça peut être une image), dans la prière (là par contre ce n’est pas une image), en se tenant devant Dieu et en creusant dans la Parole pour recevoir ce qu’avait préparé (caché) l’Esprit de révélation et de vérité. Un serviteur de Dieu soumis au temps de Dieu, acceptant que le Seigneur est un Dieu qui se cherche. Pas vraiment la tasse de thé de la génération Z.
Tandis qu’un autre pasteur va émerger, affranchi des lois de l’inertie, grâce à des prompts bien préparés (je ne parle pas que de HelloBible, mais de toute l’offre extraordinaire globale de l’ia). C’est presque de la magie (j’en ai parlé ici), et l’assistant conversationnel est comme le génie de la lampe d’Aladin : il suffit de demander. On peut raisonnablement appeler ça un prodige. C’est un peu comme avec Dieu, mais sans l’attente et sans le désert : « construis-moi un message d’édification chrétien, d’un volume de 2 pages, sur le thème des critères spirituels du disciples de Jésus, avec 2 ou 3 témoignages ». Et hop, c’est fait.
Objection spirituelle
La proposition que vous faites du néologisme « spirititiel », (association de l’artificiel et du spirituel), est pour le moins surprenante, venant d’un pasteur. Personnellement, j’aurais tendance à continuer de différencier — de maintenir une séparation — entre le spirituel et l’artificiel, question de formatage sans doute. Rappelons les bases : pour le commun des mortels, ce qui est artificiel relève de l’artifice ; lorsque par exemple la Bible parle de l’existence de « paroles artificieuses » (2 Pierre 2/3), elle évoque moins l’art nécessaire à leur réalisation que la fausseté de leur message. Pour vous rejoindre : je suppose que des serviteurs de Dieu feront un bon usage, mais ce sera l’arbre qui cachera la forêt. Rebaptiser l’intelligence artificielle en « spirititielle » ne me paraît donc pas une bonne idée, et je pense même que cette proposition est de nature à inquiéter encore davantage ceux que vous essayez de convaincre.
Conclusion
Il serait évidemment utopique d’imaginer contenir le phénomène de l’ia, y compris dans l’Église. Nous y allons, nous y sommes, et nous devrons composer avec. On peut y voir un progrès, ce qui est un fait, et en même temps une contribution à l’affaiblissement d’un état général fragilisé : le phénomène de destruction de la lecture en général, et de la lecture de la Bible en particulier, est avéré, c’est une donnée objective de la société actuelle. Sociologues et enseignants constatent un appauvrissement de de la réflexion (inversion de l’effet Flynn), donc de l’intelligence, par l’irruption, le développement et la conquête de l’image : cette réalité qui s’inscrit en filigrane de l’émergence de l’ia nous suggère que cette révolution pourrait contribuer autant à la régression qu’aux progrès de l’esprit : prendre l’habitude d’appuyer sur des boutons pour obtenir ce qu’il fallait du temps (et de la sueur) pour l’acquérir sera toujours moins édenique que pavlovien (ou Skinnerien). Réfléchissons-y.
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JérômePrekel2024©www.lesarment.com