Le ministère libéré du syndrome de la réussite

Extrait du livre du même nom, de Kent et Barbara Hughes.

«L’église où je servais a décidé d’ouvrir une église fille dont je serais le pasteur fondateur. Dans cette entreprise, l’église qui me parrainait ainsi que le pasteur ont été magnanimes. Ensemble, nous avons mis au point une présentation multimédia pour communiquer à l’assemblée tout le potentiel de cette nouvelle œuvre. Quand le pasteur a invité tous ceux qui se sentaient appelés de Dieu à participer à l’implantation de cette nouvelle église, une vingtaine de familles ont décidé de nous suivre. Pour couronner le tout, nous avons reçu 50 000 $ pour nous aider à démarrer.

Quelle belle façon de débuter une église! L’optimisme était à son comble. En tant que leader, mes amis m’assuraient que de grandes choses se produiraient bientôt, et qu’il ne s’écoulerait pas longtemps avant que l’église fille devienne plus grande que l’église mère. De tels propos n’ont fait qu’accroître mes attentes. J’y croyais.

Les personnes qui se sont jointes à nous pour démarrer cette église étaient formidables. Nous sommes sortis de notre première rencontre ébahis par la profusion de gens doués, travaillants et visionnaires que Dieu avait placés nos côtés. Avec des gens de cette trempe, nous nous attendions à grandir.

Nous avons aussi fait ce qu’il fallait faire. Notre association a retenu les services d’un expert pour qu’il nous enseigne les principes généraux et les petites subtilités inhérentes à la croissance d’une église. Ils m’ont inscrit à des séminaires traitant de ce sujet. Nous avons obtenu des photos aériennes et des projections démographiques, nous avons commandé des études ethnographiques, consulté le Comté et sélectionné soigneusement la clientèle cible, après beaucoup de réflexion et de prière.

L’implantation d’une nouvelle église est une œuvre épuisante, et nous avons plongé dans ce travail avec tout notre cœur. J’ai assisté à des rencontres, conçu des stratégies, fait de la sollicitation, offert de la relation d’aide, préparé des sermons, emprunté des pianos, des pianistes, des rétroprojecteurs et des chaires. Ensuite, venait le rituel du dimanche qui consistait à préparer les locaux loués pour le service dominical, à sortir les ordures du centre communautaire, à aider à décharger la remorque d’entreposage qui contenait la chaire, les micros, les livres de cantique, les tapis, les parcs et berceuses pour les enfants. Et le soir, en compagnie de toute l’assemblée, nous travaillions avec une bonhomie toute chrétienne à plier bagage pour une autre semaine.

Dès le départ, nous avons profité de conditions gagnantes. Nous avons bénéficié des prières et des prédictions de nos amis qui croyaient qu’il était inévitable que notre œuvre deviennent importante et prenne de l’expansion. Nous avions les connaissances sophistiquées du processus de croissance d’une église. Nous avions un superbe noyau de croyants. Et nous avions moi, un jeune pasteur expérimenté et performant qui était au sommet de sa forme. Nous nous attendions à grandir.

Cependant, à notre grand étonnement et à notre grande déception, ce ne fut pas le cas. En fait, après beaucoup de temps et énormément d’efforts, l’assistance régulière était moins nombreuses qu’au cours des six premier mois. Notre église décroissait. L’avenir n’était guère prometteur.

Donc, en remontant l’allée jusqu’à la maison, en cette journée chaude de l’été, après plus d’une décennie dans le ministère, je sentais que je perdais l’équilibre. L’idée que j’avais nourrie depuis toujours d’un avenir prospère et d’une grande réussite s’écroulait autour de moi.

Je me trouvais dans la plus noire et la plus profonde dépression que j’aie connu de toute ma vie. Le souvenir que j’en garde est celui d’une mer grise sans horizon aucun. Une lumière tamisée baissait sous un ciel menaçant. Seul, je nageais sur place mais je sombrais et bientôt, je serai sous l’eau. C’est dramatique, bien sûr ! Mais c’est ainsi que je me sentais. Je voulais m’échapper.

Quand j’ai vu ma femme Barbara me sourire a travers la moustiquaire, mon cœur s’est réjoui, comme d’habitude, et au cours des heures qui ont suivi, j’ai été absorbé par ma jeune et joyeuse famille. Cependant, après le dîner, une fois les enfants au lit, je me suis encore senti abattu.

Il me semblait que personne, à part ma femme, ne s’en préoccupait. En cette nuit chaude d’été, sombre pour mon âme, j’étais prêt à en parler.

Barbara et moi avons passé beaucoup de temps à réfléchir sur ce qui m’avait amené au bord d’un tel désespoir. Nous nous sommes rappelés les voix du passé — les camarades du collège, les amis de l’église, nos connaissances — qui toutes nous avaient offert différents conseils. Aucune de leurs suggestions n’était mauvaise en soi, mais la prémisse sous-jacente à tous ces conseils était, dans son ensemble, mortelle. Barbara et moi avons résumé ainsi l’essentiel de ses principes :

Étude de marché : quand l’église en était à ses débuts, notre confession m’a envoyé dans un institut spécialisé dans l’analyse du processus de croissance d’église. J’ai étudié les fondements pragmatiques de la croissance numérique. Le principe de mise en marché visibilité et accessibilité venaient en tête de liste des éléments essentiels. En d’autres mots : si vous voulez vendre des hamburgers, vous devez vous assurer que votre restaurant soit visible est facilement accessible à la communauté. Les grandes chaînes spécialisées dans le hamburger vivent et meurent d’après cette règle. Les pasteurs intelligents feront de même et leurs églises grandiront.

Sociologie : durant les premières étapes de planification de notre église, l’expert en croissance d’église a souligné qu’il était primordial que ma femme et moi soyons bien assorti à la communauté. Il a fait une lecture attentive des environs, nous a rencontrés pour observer notre façon de nous vêtir et s’est informé de nos goûts en matière d’habillement, d’ameublement et l’éducation. Après avoir analysé nos réponses, il nous a déclaré «parfaits» pour l’œuvre (!).

Cette pensée, évidemment, représentait «le principe du groupe homogène» : les semblables attirent et gagnent leurs semblables : les médecins évangélisent mieux les médecins ; les mécaniciens, les mécaniciens ; les athlètes, les athlètes. Notre famille était idéale pour conduire une église en pleine croissance au sein de notre communauté.

Intendance : au fond de moi-même, je croyais qu’une église qui donne généreusement gagnera en nombre, et une église qui donne aux missions verra le nombre de ses ministres croître. Notre don suscitait la croissance. Ainsi, un rejeton hybride issu de «l’évangile de prospérité» poussait silencieusement en mon for intérieur. En donnant, nous attirerions plus de personnes, c’est-à-dire encore la croissance du numérique.

La piété : je ne le disais pas ouvertement, mais j’étais convaincu au plus profond de moi-même que si les gens étaient véritablement pieux est démontraient par leur piété le fruit de l’Esprit, leur spiritualité attirerait autant les perdus que ceux qui cherchent. Par conséquent notre église grandirait.

Il va de soi que personne ne remettrait en question l’application de ce moyen, la piété étant une qualité rare. De plus, la croissance obtenue par le biais d’un christianisme authentique serait éminemment saine. Cependant, encore une fois, se cachait derrière cette piété l’idée des plus subtile qu’elle n’était qu’un moyen pour nous amener à quelque chose de beaucoup plus important, en l’occurrence, l’accroissement des chiffres et la réussite.

La prédication : le séminaire que j’ai suivi insistait pour que nous apprenions à prêcher la parole de Dieu par exposition. Je suis reconnaissant qu’ils aient insisté sur ce point. Bien que cela n’ait pas été dit d’une manière aussi directe, cette insistance laissait quand même entendre qu’en prêchant la parole avec efficacité, l’assemblée grandirait. Durant les années que j’ai passées au séminaire on a, sans le vouloir, contribué au développement de cette conviction en faisant défiler devant nous, durant nos cultes quotidiens, des prédicateurs célèbres venus de grandes assemblées. Voici ce que j’en ai conclu : les églises qui grandissent ont de très bons communicateurs, celles qui ne grandissent pas en sont dépourvues.

Le même message m’a donc été répété à plusieurs reprises : «si tu t’efforce de bien faire ces choses, ton église grandira».

Je me suis aperçu que j’étais fier d’avoir judicieusement appliqué tous ces principes. Je pensais que Dieu bénirait mon ministère en augmentant le nombre de fidèles dans mon assemblée puisque je n’évertuais à faire les choses «correctement », plutôt que d’utiliser de mauvaise méthode.

Toutefois, je ne me rendais pas compte que, tout en rejetant les mauvaises méthodes, j’avais tout de même avalé l’idée que la réussite signifie un nombre grandissant de fidèles. Selon moi, un accroissement de l’assistance voulait dire que je réussissais dans mon ministère. Une grande église en pleine expansion représente le summum de la réussite.

Certes, il n’est pas mal de faire un usage judicieux des principes susmentionnés. Ils doivent être pris en compte lorsqu’on tente d’orchestrer intelligemment le ministère. Cependant, lorsqu’ils prônent la croissance numérique — quand leur leitmotiv ne constitue que les chiffres — le chant des sirènes devient alors funeste : «augmenter les chiffres, augmenter les dons, augmenter le personnel, augmenter les programmes» — les chiffres, les chiffres et rien que les chiffres ! Dans ces conditions, le pragmatisme devient le fil conducteur.

Inévitablement, notre œuvre est faite pour les hommes et non pour Dieu. Subtilement notre avancement personnel devient la force motrice.

Quand la réussite dans le ministère devient semblable à la réussite dans le monde séculier, le serviteur de Dieu évalue son succès tout comme le fait un homme d’affaires, un athlète ou un politicien.

Selon ce raisonnement, il était évident que la seule conclusion que je pouvais tirer était que j’étais en train d’échouer. J’étais inapte pour ce travail, puisque tous mes efforts ne menaient à rien, même si je savais quoi faire pour que mon assemblée grandisse et que je faisais de mon mieux. Logiquement, il s’ensuivait que Dieu m’avait appelé à accomplir une œuvre pour laquelle il ne m’avait pas équipé, d’où mon amèr ressentiment et mes récriminations.

Plusieurs années auparavant, à mes débuts dans le ministère, je n’avais pour seul motif que de servir le Seigneur. Uniquement. Mes modèles étaient des gens tels Jim Éliott, dont j’avais fait mienne la devise : « il n’est pas fou celui qui donne ce qui ne peut garder, afin de gagner ce qui ne peut pas perdre. » Je ne désirait alors que l’approbation de Dieu.

Mon profond idéalisme chrétien était imperceptiblement passé de «servir» à «recevoir», de «donner» à «obtenir». J’ai pris conscience que je préférais avoir une église en pleine expansion et le succès, plutôt que de plaire à Dieu.

Inconsciemment, je calculais l’importance de presque toutes les décisions selon l’impact qu’elles pouvaient avoir sur la croissance de l’église. J’ai compris que, poussé à l’extrême, ce raisonnement réduit les gens à n’être qu’un troupeau de bêtes à cornes — quelle terrible pensée ! De plus, il accorde la prépondérance à l’implacable pragmatisme dans la direction de l’église. Dans ces conditions, même les plus nobles idéaux peuvent être minés et ceci peut aller jusqu’à corrompre notre théologie.

Je me suis rendu compte que j’avais été subtilement séduit par la pensée séculière qui mesure tout en termes de chiffres. Au lieu de m’évaluer et d’évaluer mon ministère selon les critère de Dieu, j’ai utilisé l’analyse quantitative qui est le standard employé par le monde.

Barbara et moi avions cerné le problème. Nous avions l’impression de nous tenir au pied d’une haute montagne que nous devions escalader. L’escalade ne serait pas de tout repos, mais au moins nous étions au fait de la situation.

C’est ainsi que, dans notre cuisine bleue et jaune qui nous apparaissait beaucoup plus claire maintenant, que durant les dernières semaines, ma femme et moi nous sommes courbés dans la prière. Nous avons prié avec insistance, réclamant le pardon de Dieu et consacrant à nouveau nos vies au seigneur. Nous avons demandé à Dieu de nous protéger de notre adversaire rusé qui nous avez ici subtilement séduit.

Nous nous sommes engagés à fouiller les Écritures pour apprendre ce que Dieu voulait nous enseigner sur la réussite. Nous avons décidé résolument d’évaluer nos succès selon un point de vue biblique.

Les chapitres qui suivent décrivent notre parcours. Ce que nous avons appris nous a libérés du syndrome de la réussite.

Vous aussi pouvez être libérés.»

 

Commentaire du Sarment

On ne peut que recommander la lecture de ce livre à tous les serviteurs de Dieu, mais aussi à tous les chrétiens — qui sont tous, comme chacun sait, des serviteurs de Dieu en puissance !:)

Le contexte de cette histoire est américain et diffère quelque peu de ceux que nous trouvons en Europe … quoique les différences tendent à disparaître peu à peu. Ce témoignage parlera donc à tous.

 

Certains passages sont très forts et démontrent qu’il existe un christianisme qui fonctionne sur de mauvais principes, et qui diverge de la volonté de Dieu dans ses buts, et dans ses méthodes, alors que dans le même temps, il se réclame de Lui — et contribue malgré tout à faire connaître Son Nom. C’est un mystère : «tandis que ceux-là, animés d’un esprit de dispute, annoncent Christ par des motifs qui ne sont pas purs et avec la pensée de me susciter quelque tribulation dans mes liens. Qu’importe? De toute manière, que ce soit pour l’apparence, que ce soit sincèrement, Christ n’est pas moins annoncé: je m’en réjouis, et je m’en réjouirai encore» (Philippiens 1/17).  Il n’en reste pas moins que ce christianisme doit être dénoncé, et surtout éclairé.

Les critères de la réussite selon les Écritures, découverts et rassemblés dans ce livre par Kent et Barbara Hughes, sont particulièrement édifiants et on ne peut que recommander ce livre qui s’inscrit à contre-courant de toute une foule d’ouvrages actuels.

 

 

 

 

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