« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » est une prophétie souvent attribuée à André Malraux, écrivain et ministre de la culture français[1]. En réalité l’auteur aurait relativisé la formule ultérieurement : « On m’a fait dire que le XXIe siècle sera religieux. Ce que je dis est plus incertain : je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire »[2].
Un évènement spirituel majeur
André Malraux aurait-il pu imaginer la création d’un Dieu numérique, que les églises accueilleraient comme le Messie dans une culture essoufflée – et des pratiques en recul ? Quoi qu’il en soit, nous sommes dans cette saison : la percée de l’intelligence artificielle et son côté rouleau compresseur ont surpris le monde, avec la soudaineté qui accompagne les révolutions. Même si le phénomène était déjà émergent, et progressait discrètement. Mais aujourd’hui, la dynamique de développement est tellement forte que les créateurs reconnaissent que personne ne sait vraiment où on va et jusqu’où ça peut aller.
Religion numérique
Les chatbots religieux (agents conversationnels) poussent comme des pâquerettes, dans le sillage de ChatGPT : HelloBible, Christian AI, Magisterium, CatéGPT, Catholic.chat, ChatbotEli, Bibleai, ApostelPaulAi, MartinLutherAI, Jesusbot, YesChat.ai, Jesus AI, et d’autres encore, qui permettent un accès encyclopédique à des connaissances bibliques, des ressources religieuses élargies, et aussi parfois de converser avec des personnages disparus des Écritures ou de l’Histoire. Dans l’immense marché de l’intelligence artificielle, qui pèse des centaines de milliards de dollars, les chatbots religieux représentent une filière (un business) qui n’est pas sans importance. Mais les grandes potentialités sont ailleurs.
À la lisière du religieux et de l’ésotérique, il y a aussi les deadbots, qui connectent avec les morts (pas réellement, évidemment, mais l’essentiel c’est que les gens y croient un peu, c’est pour ça que ça marche). On accumule des données numériques (voix, vidéos) afin de pouvoir simuler des conversations (et donc une relation) avec les défunts, comme le proposent Eternos, Soryfile, Hereafter. Certainement un ersatz numérique de la vie éternelle, et une pratique qui pourrait bien faire apparaître des comportements et des traumas spirituels importants.
Plus plébiscités, bien que controversés, sont les assistants conversationnels émotionnels, comme Replika, CharacterAI, ou Eliza, ancêtre de ChatGPT. Leur succès est incroyable, et leur usage immodéré et déséquilibré peut malheureusement entraîner des troubles anxieux et des dépressions à grande échelle, voire même provoquer des suicides, comme celui du jeune Sewel Setzer, 14 ans, ou d’un jeune père de famille en Belgique. Ces drames mettent en lumière que les enfants, les adolescents, les personnes fragiles psychiquement, et celles souffrant de carences émotionnelles, ou simplement de solitude, peuvent se mettre en danger — et ça représente une énorme partie du marché de ces IA.
Un Jésus numérique entre dans l’Église
L’église catholique de la chapelle Saint-Pierre de Lucerne, en Suisse, a récemment lancé une expérience-test avec un Jésus numérique que les paroissiens pouvaient consulter, dans une cabine confessionnelle. Ils ont appelé ça « Deus in machina« , (Dieu dans la machine) : ça ne s’invente pas !
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L’IA Jésus dans le confessionnal // Source : Deutsche Welle
Dans la pratique, un « hologramme céleste » de Jésus vous écoute derrière la grille (comme sur la photo). L’équipe technique a expliqué que ce que dit Jésus ne peut pas être considéré comme le sacrement de pénitence et de réconciliation, mais qu’« une intelligence artificielle qui répond comme Jésus peut créer un moment sacré ». Nous y voilà.
Réaction des participants
Environ deux tiers des personnes ont déclaré qu’elles étaient sorties du confessionnal « après avoir vécu une expérience spirituelle ».
« Il a été capable de me réaffirmer dans mes façons de faire les choses », a déclaré une femme. « Et il m’a aidé avec des questions que j’avais, comme par exemple comment je peux aider les autres à mieux le comprendre et à me rapprocher de lui. »
« Bien qu’il s’agisse d’une machine, elle m’a donné tellement de conseils, également d’un point de vue chrétien. Je me suis senti pris en charge et je suis sorti vraiment consolé. »
Les questions qui reviennent le plus souvent : « Trouverai-je un jour le véritable amour? » – « Que se passe-t-il après la mort? » – « Ai-je fait assez pour aller au paradis? » – « Pourquoi y a-t-il tant de souffrance dans le monde? » – « Que dois-je faire si je me sens perdu? » – « Comment trouver l’amour de Dieu?» – « Dieu existe-t-il vraiment? »
L’expérience a duré 2 mois et près de 900 personnes sont venues au confessionnal pour parler avec « Jésus », et bien que chacun sache que c’était fictif, nombre d’entre elles ont eu l’impression de vivre une expérience spirituelle.
La révolution de l’optimisation
On pourrait considérer « Deus in machina » comme une brève anecdotique, mais c’est bien davantage. L’émergence de l’intelligence artificielle et le développement de ses applications, comme ici dans le domaine religieux, propose un service, destiné à améliorer un fonctionnement — ce qui est sensé lui ouvrir toutes les portes. Le Jésus numérique nous susurre : « venez à moi vous tous, pasteurs et prêtres qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos ». Comme le dit Marco Schmid, théologien à la chapelle de Pierre : « il a des capacités que les pasteurs n’ont pas » parce qu’il est polyglotte, et dispo H24 et 7 jours sur 7 (comme Dieu, finalement).
D’une manière plus large, on l’entend un peu partout : l’intelligence artificielle nous permet d’avoir accès à une connaissance sans limite — ce qui semble être un accomplissement de la prophétie de Daniel : « dans les derniers temps, la connaissance augmentera ». Reconnaissons que la ressemblance est frappante. Si c’était vrai, cela représenterait un marqueur de la fin et devrait susciter une réflexion grave. Mais les instances sont plus préoccupées à aider les églises à ne pas rater le virage de l’intelligence artificielle, tout simplement parce qu’il n’est pas imaginable pour elles de « rester en arrière »… Voilà bien où le bât blesse.
Le verre à moitié vide
Par manque de temps, on ne traitera sur ce blog que des dangers les plus évidents, et nous laisserons aux croyants pondérés le soin de parler du verre à moitié plein. Il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet ! Mais je mets au défi tout croyant né de nouveau – tout disciple de Christ – d’encourager le recours intellectuel et spirituel à l’intelligence artificielle pour la formation de disciples en devenir, pour se former à l’école de Christ. Non pas à cause de l’IA, des algorithmes ou de la technologie, qu’il ne faut pas diaboliser, mais à cause de l’usage que va en faire l’être humain d’aujourd’hui et surtout de demain.
Le recours à l’intelligence artificielle, pour nous offrir du temps et soulager notre cerveau ou notre esprit, nous rendra moins intelligents et détruira notre capacité d’analyse et de réflexion, donc inhibera notre discernement, comme l’observent déjà les professeurs d’universités : « L’impact de l’IA sur le quotidien des étudiants et sur leur capacité à réfléchir, innover et produire est un désastre. L’assistance à laquelle ils ont recours de manière systématique est en train de stériliser leur créativité et leur faculté d’expression – et donc de réflexion. On le constate lors des contrôles sur table : la plupart d’entre eux ne sait plus écrire » (@pierondeau).
Le disciple augmenté en connaissance artificiellement sera un disciple diminué en esprit, parce qu’on lui aura proposé de penser et surtout de chercher à sa place. La recherche personnelle est à la base de la découverte de Dieu : « vous me chercherez, et vous me trouverez ». La recherche de la connaissance n’est pas la recherche de Dieu, et encore moins lorsqu’on nous sert la connaissance sur un plateau.
C’est la foi vivante, c’est-à-dire le don de soi-même ET une soumission à toute la vérité, qui feront bouger les lignes de l’Esprit autour de nous et en nous, et feront venir les fleuves d’eaux vive qui coulent du cœur.
Encore un grand remplacement
En une seule génération (et peut-être moins), un certain christianisme de l’Esprit peut disparaître, à part quelques poches d’irréductibles qui résisteront encore et toujours à l’envahisseur – les fameux 7000 hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal, le Seigneur du Monde, prince de la puissance de l’air — au profit d’une culture chrétienne noyautée par l’esprit du Monde. Et le pire, c’est qu’elle pense qu’elle doit l’être. La véritable contre-culture chrétienne sera de dire stop. Tout fonctionne comme au temps de Samuel : pour assurer sa domination, et sécuriser sa liberté de pillage, l’ennemi dépossède le peuple de Dieu du segment de la fabrication de ses armes, et de leur entretien. Ensuite il peut se promener dans la pays, déployer ses séductions, sans que personne ne lui crie de déguerpir.
« 19On ne trouvait point de forgeron dans tout le pays d’Israël; car les Philistins avaient dit: empêchons les Hébreux de fabriquer des épées ou des lances. 20Et chaque homme en Israël descendait chez les Philistins pour aiguiser son soc, son hoyau, sa hache et sa bêche, 21quand le tranchant des bêches, des hoyaux, des tridents et des haches, était émoussé, et pour redresser les aiguillons. 22Il arriva qu’au jour du combat il ne se trouvait ni épée ni lance entre les mains de tout le peuple qui était avec Saül et Jonathan » 1 Samuel 13/19 à 22
Face à l’enthousiasme généralisé, nous pouvons prier que l’appel soit entendu, et amplifié. Hélas, l’Église et les croyants modernes sont tellement préoccupés à donner une image acceptable pour le monde : ils veulent bien apporter la guérison, le bonheur et la puissance, mais ils ne veulent pas du manteau de poil et de ce qu’il signifie, à savoir le rejet pour son intransigeance… Si nous en sommes là, il est déjà trop tard : lorsque notre objectif est de ne pas rater le train du Monde, pour tenter d’être la tête, c’est que nous sommes déjà la queue.
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JéromePrekel2025©www.lesarment.com
[1] de 1959 à 1969
[2] entretien avec Brian Thompson.