Le glaive de la prédication

Durant la seconde guerre mondiale, chaque dimanche, quelques centaines de pasteurs sont montés en chaire, pour enseigner, consoler, encourager et exhorter le peuple de Dieu. Dans son livre « Résister, voix protestantes », Patrick Chabanel rappelle l’Histoire et propose une présentation et une compilation des textes édifiants extraits de collections privées ou publiques, avec de courtes biographies des auteurs. Très bien fait.

En pleine débâcle nationale, les églises de France ont accueilli des paroissiens désemparés, humiliés, et les pasteurs n’étaient pas préparés à ce type de situation. Pendant près de 5 ans, les prédications et les textes publiés ont énormément compté pour donner une vision spirituelle, à une population qui était exposée à une désinformation continuelle.

L’enjeu d’une parole libre

C’était probablement la seule parole publique relativement libre, c’est-à-dire qui ne dépendait pas du régime en place ou celui de l’occupant, de leurs instances de contrôle et de propagande, et pas même de quelque hiérarchie ecclésiastique, puisque dans l’Église Réformée, chaque « ministre » est maître chez lui. « On sait en outre que, surtout dans les campagnes, la relation des fidèles à leur pasteur était faite de confiance , de respect, d’une connaissance et d’une attention mutuelle, nourrie par les cultes, les catéchismes, les visites, les veillées, le rôle joué par l’épouse du pasteur, les groupes de jeunes … tous éléments d’accompagnement qui peuvent démultiplier l’efficacité des prédications et de leurs éventuels mots d’ordre ».

Dans un message puissant donné le 14 juillet 1940, le pasteur Roland de Pury s’oppose fermement au nazisme, au maréchal Pétain et à la collaboration du régime de Vichy. Ce prêche, intitulé « Tu ne déroberas point », est très probablement la première action de résistance chrétienne en France. Plus tard, René Nodot, un résistant et un Juste actif à Lyon et à Bourg-en-Bresse, a déclaré que les passages les plus virulents de la prédication avaient circulé de bouche à oreille dans les milieux protestants, et dans quelques cercles catholiques, de Lyon et de sa région.

Mise en pratique de l’évangile

Lorsque le pasteur André-Numa Bertrand prêche sur le port de l’étoile jaune, le 7 juin 1942, son message (qui fera date) produit des effets directs : une dame, sortant du culte, croise sous les arcades de la rue de Rivoli, un « ménage à l’air modeste et distingué qui portait l’étoile jaune. Alors je me suis avancée, leur ai tendu la main en leur disant : « Je suis chrétienne, je sors de l’Oratoire, permettez-moi de vous témoigner ma sympathie. Nous sommes tous des enfants de Dieu. Le monsieur a porté ma main à ses lèvres, il était tout ému et moi j’avais les larmes aux yeux ».

Présent lui aussi au culte, le normalien Henri Plard décide d’arborer le même jour une fausse étoile jaune et de se promener dans le Quartier latin ; il est arrêté à 15h sur le boulevard Saint-Michel. Il sera interné durant 3 mois à Drancy. Quant à Odette Béchard, bouleversée par le sermon, elle obtient l’accord de son époux, un dirigeant de la firme Kuhlmann, et va trouver le pasteur pour lui demander de quelle manière elle peut venir en aide aux juifs. Le pasteur l’adresse alors à Lucie Sabatier-Chevalley — la fille du théologien Auguste Sabatier. Les deux femmes vont animer une organisation d’aide aux juifs, l’Entraide temporaire, qui comprenait des juives, des protestantes et des catholiques, et qui a sauvé plusieurs centaines d’enfants juifs parisiens en les acheminant et les plaçant dans des familles ou des établissements de la France rurale de l’ouest et même du nord du pays.

Mais la menace était constante, et les chrétiens fréquentant l’Oratoire ne pouvaient s’empêcher, le lundi matin, de s’informer par téléphone de la « santé » du prédicateur, moyen prudent à l’époque de s’assurer qu’il n’avait pas été arrêté.

Le prix de l’engagement

Le 13 février 1943, les pasteurs André Tocmé et Edouard Theis sont arrêtés par les gendarmes, et Roland de Pury par la Gestapo au moment où il allait entamer le culte, le 30 mai suivant. Paul Vergara, lui, a repéré à temps la Gestapo venue l’arrêter à son domicile d’Amiens en juillet, et a pu disparaître. Mais son épouse a été emprisonnée 4 mois à Fresnes, leur fils Sylvain a été déporté à l’âge de 17 ans à Buchewald, leur gendre Jacques Bruston est mort à Mauthausen.

André Tocmé a souligné le rôle des prédicateurs et ses difficultés : « La vérité découverte, il faut la publier, et c’est encore plus dangereux … Il fallait parler, et parler clairement. … Dieu aime qu’on enseigne l’Évangile clairement avec l’adresse du destinataire sur l’enveloppe. Le destinataire n’aimait pas cela » (extrait de « la résistance du chrétien, fondement d’une reconstruction »).

La Parole de Dieu n’est pas un refuge, mais un glaive pour combattre.

Roland de Pury

Dans le message « La Parole de Dieu et notre présent», Roland de Pury explicite : « Notre présence dans l’Église, c’est notre présence au monde, c’est notre ouverture sur le monde. Quelle calamité qu’une Église qui n’est qu’un cercle de gens pieux se sentant bien ensemble, une Église repliée sur elle-même et qui se suffit à elle-même ! … La Parole de Dieu n’est pas un refuge, mais un glaive pour combattre. Elle ne nous retire pas du monde, mais nous jette en plein cœur du monde présent ». 

Nous donc aussi, puisque nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau, et le péché qui nous enveloppe si facilement, et courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, ayant les regards sur Jésus, le chef et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui était réservée, a souffert la croix, méprisé l’ignominie, et s’est assis à la droite du trône de Dieu.…

Tout comme le chrétien des débuts de l’Église avait besoin de se remémorer, et de se replacer spirituellement au milieu de la grande nuée de témoins de l’Histoire de la foi, et de se fortifier de leur exemple, nous avons nous aussi besoin de le faire. Et notamment de nous laisser imprégner par le courage de ceux et celles qui n’ont pas aimé leur vie jusqu’à craindre la mort, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas laissé la peur de la mort les arrêter dans leur mission. Dans le creuset qu’ils n’ont pas refusé, qu’ils n’ont pas cherché à fuir, leur foi est passée par le feu. La foi qui se préserve de tout, se stérilise.

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