Nous trouvons dans la Bible un certain nombre d’hommes qui ont été des instruments de Dieu et qui ont manqué le but final. Leur exemple nous a été laissé afin que nous puissions tirer les enseignements de leurs erreurs, qui furent parfois très lourdes de conséquences.
Le prophète Balaam fait partie de ces portraits-là, avec d’autres, comme pour bien montrer que l’oeuvre de Dieu qui avait été commencée dans leur vie n’a pas pu être achevée. Il est faux en effet de penser que «tout ce que Dieu a commencé, Il l’achève» (Phil. 1/6), car ce serait faire abstraction de notre volonté d’aller de l’avant, de nous soumettre et de faire confiance. Avant d’achever son oeuvre, il est important pour Dieu de respecter notre liberté. Chacun des appelés, des élus, des instruments de Dieu – et même des anges de Dieu – a le pouvoir à tout moment de dire non, de préférer un autre chemin. Et Dieu le respectera.
Balaam fut un inspiré qui se définit lui-même ainsi : «Celui qui entend les paroles de Dieu, et qui connaît la connaissance du Très-haut, qui voit la vision du Tout-puissant, qui tombe et qui a les yeux ouverts» (Nombres 24:16). Nous constatons au travers de cette déclaration que cet homme est parvenu à un niveau de connaissance de Dieu très au-dessus du commun, et qu’il exerce un grand don spirituel. Les prophéties contenues dans sa dernière intervention (24/16 à 24) sont de toute première importance et attestent de l’authenticité du don qu’il exerce. Il semble néanmoins que Balaam soit demeuré vulnérable dans l’exercice de son ministère, en ce qu’il accepte des présents pour prix de ses «interventions» spirituelles. C’est ce qui fera dire à l’apôtre Pierre que Balaam «aima le salaire de l’iniquité» (2 Pierre 2/15), et qui nous permet de préciser que le même apôtre recommande aux anciens et aux pasteurs « de ne point travailler pour un gain honteux », gain qui se traduit parfois subtilement par la gloire qu’on pourrait être tenté de tirer d’un ministère, par la jouissance (et l’abus parfois) du pouvoir que nous confère notre position dans l’église.
Nous pouvons penser, à partir des observations du texte, que le prophète de Péthor louait carrément ses services en utilisant le don de Dieu à des fins mercantiles, ce que semble confirmer le roi de Moab lorsqu’il rappelle la «notoriété» du prophète : «je sais que celui que tu bénis est béni, et que celui que tu maudis est maudit» (22/6). Cela signifie que Balaam manie la bénédiction et la malédiction en quelque sorte «à la demande». Ces aspects nous éloignent à l’évidence du portrait d’un prophète de Dieu uniquement dévoué à la cause de Son Maître et soumis à Sa volonté.
Le roi de Moab voulait que Balaam mette son «pouvoir» de maudire à son service, pour de l’argent et des honneurs, ce que Balaam accepta, tout en faisant mine de rester soumis à la Parole de Dieu : «La parole que Dieu m’aura mise dans la bouche, je la dirai» (22/38; 23/12; 23/26; 24/13). Mais la duplicité cachée de cet homme apparaîtra au grand jour lorsque nous comparerons ces belles paroles avec ses actes – c’est-à dire les vrais fruits de la vie.
Il a cherché en effet par trois fois à atteindre son but (la perte des Hébreux, il ne faut pas l’oublier), alors qu’il connaissait parfaitement depuis le début, la position divine : «Tu n’iras pas avec eux, tu ne maudiras pas ce peuple, car il est béni» (22/12).
Face à son désir et sa volonté, Dieu le laissera cependant aller sur ce chemin, en lui ordonnant de ne prononcer que les paroles pures.
Son insistance démontre en réalité que la volonté de Dieu lui est indifférente parce que son intérêt personnel se porte ailleurs, dans ses propres convoitises. Celles-ci l’entraîneront non seulement à la ruine de son ministère, mais à la mort elle-même.
Constatant qu’on ne pouvait parvenir à une solution satisfaisante par des moyens «spirituels», le prophète proposera un programme de destruction du peuple juif par un biais plus rusé, plus humain, plus terre à terre. L’arme de la force ne pouvait être employée, l’arme spirituelle/occulte n’avait pas fonctionné («il n’y a pas de sortilèges contre Jacob, ni de divination contre Israël» 23/23), ce serait donc l’arme de la séduction qui serait choisie. C’est un air bien connu. On a alors choisi de convier à la fête nuptiale de Baal des hommes choisis d’entre les Hébreux, afin de commémorer la résurrection de leur dieu. Invitation éminemment religieuse, qui avait de quoi exciter la curiosité des Hébreux : ce Baal de Péor en effet, «maître de la foudre», après avoir péri vaincu par son ennemi Môt (la mort), avait été ramené à la vie grâce à sa soeur et épouse Anath, par un acte d’amour physique. Les prêtresses, choisies pour leur beauté, du milieu du peuple, couchaient elles aussi durant la cérémonie avec un homme élu pour commémorer symboliquement cette résurrection. Puis la débauche se généralisait dans le peuple, en étant présentée comme un acte religieux, saint, propre à améliorer le niveau spirituel et le rapprochement avec Baal (« le Seigneur »).
La participation des Hébreux à cette idolâtrie entraîna la mort de 24 000 d’entre eux. Balaam avait réussi à donner une «clé» stratégique au roi de Moab pour amorcer la destruction du peuple de Dieu, en profitant de la faiblesse de sa chair. Il les amène dans la désobéissance afin que leur Dieu les punisse. Les Écritures diront : «ils vous ont serré de près par leurs ruses, par lesquelles ils vous ont séduit …» (Nbres 25/18).
Nous avons là l’image de ce que cherche à faire l’Adversaire du peuple de Dieu, lorsqu’il entreprend d’attirer sur nous la malédiction et la ruine. Ne pouvant provoquer la colère de Dieu directement, il se sert de la faiblesse de notre chair non crucifiée comme point de départ de notre chute. Balaam et Balak sont l’image de cette volonté malfaisante qui ne pense qu’à la destruction des saints.
On citera ici opportunément une déclaration d’Alexandre Soljenytsine, en relation avec notre sujet : « on asservit plus facilement le peuple au moyen de la pornographie qu’au moyen de miradors ».
La trajectoire de ce prophète au don authentique s’achèvera sur le fil d’une épée juive, en périssant de la main-même de ce peuple qu’il a cherché à maudire – ce qui a, selon sa propre prophétie, causé sa perte : «Bénis sont ceux qui te bénissent, et maudits sont ceux qui te maudissent» (Nbres 24/9).
Balaam, dont le nom signifie «pas du peuple» avait en lui les choses les plus précieuses pour réussir, mais malgré cela, il a manqué le but.
Sa vie et sa mort sont pour nous des enseignements précieux et nous apprennent qu’un homme peut aujourd’hui être honoré par Dieu et néanmoins basculer complètement dans l’erreur la plus profonde, un peu plus tard.
L’onction, l’appel, le don, la bénédiction et la liberté ne nous sont pas données pour en user à notre gré, même pour faire le Bien, mais pour nous donner la force divine indispensable de devenir, en premier, Ses prisonniers et de demeurer attachés à Lui.
«Souviens-toi de Jésus-Christ», disait Paul à Timothée ! Quelle étrange exhortation ! Ne L’oublie pas, même lorsque ton travail pour le royaume de Dieu t’absorbera …
Parce que le but principal n’est pas le service, mais que Jésus soit formé dans nos coeurs, jusqu’à ce que nous soyons parvenus à l’état d’hommes faits.
C’est ce qui nous gardera d’être emportés par les vagues inévitables qui viennent sur le monde chrétien, et qui emportent ceux et celles qui ne sont pas attachés à Christ, mais à l’onction, à la justice, à la sainteté, au royaume, à l’église, etc.
article de Jérôme Prékel/paru dans le n°30 du Sarment