Un prophète caractériel ?

«Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle, car leur méchanceté est montée devant moi» (Jonas 1:2).

L’Histoire date la création de Ninive vers 2300 av.J.C., c’est-à dire juste après le Déluge. Située au bord du Tigre, elle fut complètement détruite en 612 av.J.C. par les Babylonniens, à l’époque où Jérusalem était elle aussi prise d’assaut et vaincue (2 chr. 36:2).

Jonas est présenté souvent comme une caricature du prophète rebelle et acariâtre, qui n’en fait qu’à sa tête. C’est une analyse un peu sommaire, qui se base seulement sur les traits les plus saillants de son portrait; mais si nous creusons un peu plus, un visage plus complexe se révélera à nous, qui nous permettra de mieux comprendre cette trajectoire unique parmi les personnages prophétiques de la Bible.

Pourquoi Jonas n’a-t-il pas obéi à l’injonction de la Parole de Dieu ? La réponse semble nous être donnée au chapitre 4 (v. 2), mais elle ajoute quelque peu à notre confusion sur les mécanismes intérieurs du prophète : «… j’ai d’abord voulu m’enfuir à Tarsis, car je savais que tu es un Dieu qui fais grâce et qui es miséricordieux, lent à la colère et grand en bonté, et qui te repens du mal dont tu as menacé». Etrange attitude pour un prophète de l’Eternel !
Mais le caractère entier de cet homme sera finalement honoré par Dieu, que nous voyons prendre grand soin de cet élève capricieux mais intègre, mettant en oeuvre des moyens extraordinaires pour amener son enfant à passer de la raison humaine à la raison divine.

Parfaitement logique avec lui-même, Jonas est transparent et ne dissimule pas aux marins qui dirigent le bateau qu’il a choisi pour aller à Tarsis, les véritables raisons de son voyage: «il fuyait de devant la face de l’Eternel». Et lorsqu’on lui demande s’il connaît le moyen de faire échapper l’équipage du navire à la tempête violente qui fait rage, il leur donne la solution, fût-ce au prix de sa propre vie ! «Prenez-moi, et jetez-moi à la mer, et la mer s’apaisera pour vous».
Il y a de la droiture dans cette rébellion, et c’est en cherchant dans ses mobiles que nous pourrons comprendre ce qui pousse cet homme à fuir loin de «la grande ville».

Jonas avait donc compris qu’en lui annonçant son jugement prochain, Dieu voulait faire grâce à Ninive, et il n’a tout simplement pas voulu se prêter à cette volonté. Pourquoi donc ?
Il était parfaitement au courant de la situation économique, politique et militaire de Ninive. Ennemis héréditaires des Hébreux, les Ninivites et leur roi étaient voués par les guides religieux juifs à la malédiction et à la destruction. Il y a donc dans le contexte de cette époque une animosité violente vis-à-vis de l’Assyrie.
Depuis 842 av.J.C. en effet, on payait un tribu aux Assyriens, dont l’attitude belliqueuse était bien connue de l’ensemble des pays environnants. Appelée par le prophète Nahum «ville sanguinaire» (3:1), Ninive usa de la cruauté la plus féroce envers les vaincus; le roi Assurbanipal (Esdras 4:10) qui régnera de 669 à 626 (contemporain de Jérémie) se plaisait, après ses victoires, à trancher les mains, les pieds, le nez, les oreilles de ses prisonniers. Il leur crevait les yeux et élevait des tertres de têtes humaines.
On comprend mieux les réticences de Jonas, et sa répugnance à servir de moyen de salut pour Ninive.

Le prophète a compris que Dieu est là, dans ce projet, à ce moment et à cet endroit particulier.Le meilleur moyen pour lui de ne pas y participer est donc de s’en éloigner, géographiquement, le plus possible. En s’écartant du problème, il pense fuir d’une certaine manière la face de Dieu. C’est là que commence la trajectoire bien connue de Jonas, type du cheminement de tous ceux qui s’éloignent de la volonté divine : «il descend à Joppé» (1:3), puis «il descend pour aller avec eux à Tarsis» (1:3), puis «il descend au fond du vaisseau» (1:5); il est jeté à la mer (une nouvelle forme d’abaissement), avalé par un poisson, et «il descend jusqu’au fondement des montagnes» (2:7) : telles sont ses voies.

Il est dommage que, dans la pensée du prophète, il ne lui ait pas été possible de s’élever au-dessus des considérations temporelles au sein desquelles il évoluait. Il ne voulait sans doute pas passer pour un traître à la cause patriotique du peuple juif, dont la fibre nationaliste aurait certainement vibré à l’annonce de la destruction de Ninive.
La vision prophétique de Jonas a donc été gênée par la dimension charnelle qui l’entourait, l’empêchant de comprendre que son message allait bien plus loin que Ninive, c’est-à dire jusqu’au bout de la terre. La préfiguration du Salut universel, annoncé par la volonté de Dieu vis-à-vis de Ninive, lui a paru inconcevable, obnubilé par l’Histoire, la tradition, et la comptabilité des griefs.

Le livre de Jonas – dont le nom signifie «colombe» – a donc annoncé prophétiquement non seulement le Salut de l’humanité, mais a également servi de signe annonciateur de la mort et de la résurrection de Christ, en passant trois jours et trois nuits dans le séjour des morts avant d’être ramené à la vie, pour faire la volonté de Dieu. C’est ce que Jésus a appelé «le signe de Jonas» (Luc 11/29).

Pour terminer ce bref portrait, nous dirons que l’histoire de Jonas est parfois aussi la nôtre, lorsque nous nous retrouvons dans un contexte hostile, au sein d’une expérience mortifiante, et que nous ne voulons pas admettre que ce sont nos mauvaises dispositions vis-à-vis de Dieu qui nous y ont conduit. La Bible dit que «le coeur qui s’éloigne de Dieu sera rassasié de ses propres voies» (Prov. 14:14). C’est seulement quand, «rentrant en nous-mêmes», nos yeux s’ouvrent sur la réalité, que de notre coeur peut enfin monter une prière (la bonne prière) semblable à celle de Jonas, et qui fait que l’Eternel, voyant notre repentance, commande à nos circonstances de relâcher leur étreinte.
Il est plus aisé d’accuser l’ennemi (ou les autres) que de faire face à la réalité des carences de notre coeur. Ainsi que le disait Hudson Taylor, «Il est plus important de découvrir ce que Dieu veut me dire dans une période difficile, que de sortir de cette période difficile». ?

Jérôme Prekel
®Le Sarment

Leave a reply:

Your email address will not be published.

Site Footer