Dans la plus pure tradition évangélique, le diacre de la petite église dans laquelle je me trouvais ce jour-là expliquait du haut de l’estrade la puissante symbolique de la Sainte Cène, en rappelant à son auditoire attentif toute l’importance de cette commémoration.
Ce rituel, développait-il, n’a de véritable importance que s’il s’inscrit dans une pratique authentique de la foi, un engagement permanent et personnel qui donnera tout son sens à l’heure du partage du saint repas. A quoi servirait en effet de sacrifier au rituel, fût-il parfaitement orthodoxe, s’il est séparé de la réalité qu’il typifie, comme désincarné ?
Je buvais ces paroles qui me ramenaient une fois encore au sacrifice du Seigneur Jésus pour moi.
Le diacre continuait son exposé fidèle, insistant particulièrement sur le fait que le partage de la Sainte Cène ne confère à son participant aucune vertu spirituelle, quand bien même sa vie personnelle serait en tous points conforme à la volonté de Dieu. Croire le contraire pousserait subtilement en direction du rite magique, tel celui des viandes sacrifiées aux idoles, dont on s’attendait à ce que leur ingestion donne des forces nouvelles, ou sanctifie (voir Galates 5:20).
Poussant son exposé encore un peu plus loin, le frère mit un point d’orgue à son discours : le pain et le vin, partagé par les chrétiens du monde entier en commémoration du sacrifice de Jésus, ne contiennent pas un iota de la nature du Seigneur; le pain ne contient pas sa chair, pas davantage que ce vin ne se transformera en sang ou en vie dans l’estomac du fidèle, par l’opération du Saint-Esprit. D’ailleurs, remarquait-il avec un certain à-propos, si le fait de prendre le pain et le vin pouvait rendre saints, plus saints, alors nous trouverions sans doute une densité de saints beaucoup plus importante au kilomètre carré, eut égard au nombre de chrétiens qui prennent le saint repas chaque dimanche …
Non, conclut le diacre, il n’y a rien dans ces emblèmes que le poids de leur signification, le rappel du fractionnement du corps-même du Seigneur Jésus-Christ pour tous les hommes, et Son sang qui coula en souffrances indispensables pour couvrir une multitude de péchés.
Le discours était achevé. Mais la présentation sembla sans doute par trop radicale au responsable de l’église, qui, prenant la suite, tenta hâtivement d’estomper en quelques mots rassurants le tableau un peu brut esquissé par le diacre zélé : «Prenons malgré tout cette Sainte Cène avec confiance qu’au moment où nous accomplissons la volonté de Dieu, Il est fidèle et juste pour nous rétribuer selon notre foi. N’est-il pas le rémunérateur de ceux qui Le cherchent ? Amen. Il regarde au coeur. Mangeons donc le Pain de Vie, le Seigneur agira selon sa volonté; Il nous communique sa vie; je crois qu’Il veut que nous recevions quelque chose en cet instant solennel. D’ailleurs, il est écrit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu».
Un bref flottement parcourut l’auditoire et je crus sentir une sorte de soulagement, assez difficile à expliquer d’ailleurs. Quant à moi, les bras ne m’en finissaient pas de tomber. J’étais passé d’une respiration spirituellement oxygénée à une sorte d’apnée intellectuelle éprouvante. INCORRIGIBLE RELIGIOSITÉ !
Pourquoi rapporter cet événement qui pourrait passer pour insignifiant ? Quelle utilité de relater ici ce dérapage dominical mal contrôlé ?
Parce que nos églises sont constituées de chrétiens de toutes cultures et de toutes origines dénominationnelles (catholiques, protestants, évangéliques, etc), et que les responsables cèdent – plus souvent qu’on croit – à la tentation des compromis doctrinaux pour sauvegarder l’unité desdites églises. Ce faisant, ils pensent travailler à l’unité du corps de Christ, mais il n’en est rien. C’est même tout le contraire. Jésus a démontré que la vérité doit être proclamée sans calculer de l’effet qu’elle pourra produire, positif ou négatif. Elle est annoncée sans brutalité, mais sans raisonnements. Nous ne devons pas changer l’ordre spirituel des choses : c’est la vérité qui est le mètre-étalon auquel nous nous mesurons, et sa vocation n’est pas de s’adapter à nos contradictions ou nos peurs, ou respecter les barrières de nos dogmes, mais de nous amener à SA dimension, c’est-à dire de nous élever, de nous entraîner à dépasser, grâce à elle, les étroites limites de notre humanité.
Partout où nous établissons des compromis destinés à «conserver l’unité de la foi» ou à «sauvegarder les intérêts de l’oeuvre de Dieu» au détriment de la Vérité, fût-ce momentanément, et même pour éviter une division (ou simplement de « choquer »), nous rejetons la Croix et Celui y fut cloué à notre place. Modernes Saüls, tels ce roi déchu, NOUS PRIVILÉGIONS LA VOIX DU PEUPLE, LES CRAINTES DES HOMMES, plutôt que le Seigneur Lui-Même, amenant la vérité à trébucher publiquement.
C’est là en fait l’exact contraire de la glorification du Dieu que nous professons servir.
Le Sarment/Jérôme Prekel