Faut-il détruire le suaire de Turin?

Celui qui oserait prononcer cette phrase risquerait la lapidation médiatique pour hérésie, car un grand nombre de personnes pensent que le suaire de Turin est l’image de Dieu. On comprend donc que leur réaction puisse être forte. Nul ne sait d’ailleurs jusqu’où elle pourrait aller, cette réaction : on se souvient que les apôtres Jacques et Jean étaient prêts à effacer de l’existence ceux (hommes, femmes et enfants) qui n’étaient pas disposés à recevoir leur Jésus[1]. Recevoir Jésus/rejeter son image, c’est un peu la même chose. Cet esprit qui animait les fils de Zébédée n’est pas mort ! Et la réprimande de Jésus non plus[2].

Les passionnés du-Jésus-qui-serait-«en-photo» sur le suaire de Turin risquent de ne goûter que moyennement la teneur de la pensée qui suit, et qui va questionner sur l’utilité de la survie de cette relique. Cette interpellation se fonde uniquement sur une compréhension biblique et prophétique du phénomène de représentation du divin, et sur une analyse spirituelle des effets produits par la divinisation d’un objet. Nous sommes en train de parler d’iconodulie et d’iconoclasme[3], termes un peu barbares parfois employés par un certain capitaine au long cours pour vitupérer contre ses ennemis, mais qui définissent surtout (et plus sérieusement) les défenseurs et adversaires des icônes.

Comment peut-on seulement évoquer l’idée de détruire une pièce religieuse telle que le suaire de Turin ? Au nom de quel raisonnement fondamentaliste ?

Premièrement parce que dans le christianisme, l’interdiction de représenter une figure divine est formelle, comme le précise clairement le second commandement de Dieu :

« Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque[4] des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent, et qui fait miséricorde jusqu’à mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements» (Exode 20:4-6).

J’entends bien l’objection des iconodules, ou esprits intéressés par la dimension historico-mystérieuse de l’objet : s’il n’a pas été fabriqué par l’homme, mais qu’il est vraiment une œuvre surnaturelle, alors il n’est pas concerné par ce commandement. Il est facile de répondre qu’il existe autant de travaux scientifiques démontrant qu’il est une relique authentique, que d’autres travaux démontrant qu’il ne l’est pas. La bizarrerie de la chose, c’est qu’on communique quasiment toujours dans le même sens …

L’ordre divin est limpide. Il semble exister cependant deux exceptions bibliques à ce commandement, puisque Dieu commanda à Moïse, lors de la construction du Tabernacle, de travailler à des représentations célestes : « On fit le voile avec des chérubins figurés dans un habile tissus« , « (un artisan) fit l’arche de bois d’accacia, il fit deux chérubins d’or ; il les fis d’or battus, faisant corps avec les extrémités du propitiatoire (…) en se faisant face l’un à l’autre, et le visage tourné vers le propitiatoire » (Exode 36/35 et 37/7).

Ces exceptions peuvent-elles contredire le commandement ? La réponse est non, bien sûr, mais elles nous poussent à chercher à comprendre l’intention divine. En effet, c’est l’Eternel qui donna à Moïse le plan du tabernacle, et s’Il lui inspira des modèles de représentations célestes (anges, chérubins[5]), c’est parce que nous sommes à l’intérieur du temple de Dieu, dans un lieu saint, ouvrant sur un lieu très-saint, où chaque détail est d’inspiration divine, représentant des réalités célestes. À l’intérieur de ce temple consacré, ce n’est pas l’homme qui décide par lui-même d’extraire de son imagination des représentations (“TU ne TE feras pas d’image…”), mais c’est Dieu qui dirige les choses qui Le concernent. Le modèle de tabernacle donné à Moïse n’est donc pas concerné par le second commandement.

À la lecture d’autres passages des Écritures, on comprend que Dieu propose, à un peuple qu’Il s’est choisi, une révélation de Lui-Même qui est très élevée; grâce à une relation personnelle, Dieu incite Son peuple à s’affranchir des intermédiaires représentatifs, le bois, la pierre, l’image, la nature[6]; alors que les habitants de la terre, leurs voisins, sont asservis à l’idolâtrie de ces choses  :

“Vous avez vu leurs abominations et leurs idoles, le bois et la pierre, l’argent et l’or, qui sont chez elles. Qu’il n’y ait parmi vous ni homme, ni femme, ni famille, ni tribu, dont le coeur se détourne aujourd’hui de l’Eternel, notre Dieu, pour aller servir les dieux de ces nations-là. Qu’il n’y ait point parmi vous de racine qui produise du poison et de l’absinthe” (Deutéronome 27/17).

“Puisque vous n’avez vu aucune figure le jour où l’Eternel vous parla du milieu du feu, à Horeb, veillez attentivement sur vos âmes, de peur que vous ne vous corrompiez et que vous ne vous fassiez une image taillée, une représentation de quelque idole, la figure d’un homme ou d’une femme, la figure d’un animal qui soit sur la terre, la figure d’un oiseau qui vole dans les cieux, la figure d’une bête qui rampe sur le sol, la figure d’un poisson qui vive dans les eaux au-dessous de la terre”. (Deut. 4/16, confirmé à maintes reprises par Deutéronome 5/8, 9; 27/15; Lévitique 26/1; Exode 20/4).

 

Deuxièmement à cause de l’Histoire religieuse du christianisme, qui nous a démontré dans quels errements l’iconodulie a pu entraîner les croyants. L’iconodulie n’est rien d’autre que la reconnaissance d’une valeur spirituelle à un objet, ce qui est le ressort de l’idolâtrie. Le poids du christianisme religieux a continuellement pesé sur le christianisme spirituel, parvenant à étouffer la flamme et la vie de l’Esprit, sur la totalité de son Histoire, à l’exception des temps de réveils — somme toute assez courts. À l’instar des règnes des rois d’Israël, les hauts lieux et les cultes idolâtres ont perduré comme des cancers au milieu du peuple de Dieu parce qu’il se trouve trop peu de cœurs entiers pour adhérer à la révélation sans raisonnements (et peu de chefs/responsables pour affronter l’hégémonie religieuse).

Ainsi, avant même de débattre de l’authenticité (ou pas) de cette pièce, nous pouvons préférer, au nom de la compréhension la plus simple des Écritures révélées, qu’il soit ignoré plutôt que reconnu, au motif que Dieu ne peut se contredire sur un point aussi fondamental que celui-là : rien ici bas ne peut ni ne doit devenir l’image de Dieu, et encore moins une photographie/reproduction, fut-elle issue des radiations du corps ressuscitant de Jésus. L’image de Dieu, nous la portons sur nous.

 

Précédents bibliques et historiques

La Bible parle indirectement du suaire de Turin, au travers d’une autre représentation divine reconnue et controversée : le serpent d’airain (Nombres 21/9). Ceux qui voient dans le suaire une initiative divine seront frappés par les similitudes, car le serpent d’airain était bien, au départ, une idée de Dieu : c’était un objet par lequel l’action divine devait s’exprimer, pour un temps.

Or il se trouve qu’après l’usage prévu par Dieu, les enfants d’Israël ont conservé le serpent d’airain, ils l’ont mis de côté, et ont été poussés à continuer de l’exploiter à cause de son statut d’objet sacré. Le Texte ne précise pas si des miracles avaient lieu du temps d’Ezéchias, ou si la foi était stimulée à sa vue, mais nous savons seulement qu’on lui offrait des parfums[7] (donc on le priait). Offrandes, honneurs, considération, dévotion :  c’est là précisément ce que ne veut pas l’Eternel.

Concernant le suaire de Turin, c’est sans doute là que nous pouvons porter une accusation d’idolâtrie religieuse de masse, qu’il sera impossible de contredire. Ce qui équivaut, aux yeux de Dieu, à une condamnation sans appel. Ces objets deviennent davantage des instruments du mal que du bien.

Quelle fut la réponse de l’Eternel ? Il plaça la pensée de Son Esprit dans le cœur d’un roi, Ezéchias. Et il y a quelque chose de l’Esprit d’Elie dans ce roi. Pourtant, humainement parlant, il est comme nous tous : il n’a rien contre le serpent d’airain, qui est agréable à regarder, qui fait partie du patrimoine historique de la nation, et qui est une institution à lui tout seul. Mais le projet de Dieu est là, dans son cœur de roi, complètement fou : il faut détruire le serpent d’airain. Il est parfaitement conscient qu’il existe des gens dans son royaume — des responsables religieux, civils et politiques — avec lesquels il ne peut même pas aborder cette question. Il serait probablement excommunié !

C’est pourquoi il agira seul. Car il est des projets spirituels qui sont tellement tenus par des puissances qui se sont assujetti les cœurs des hommes, qu’il faut agir dans le secret (comme Gédéon, ou comme Néhémie).

Le suaire de Turin est notre serpent d’airain, conforme sur bien des points. Laissons nos avis, nos opinions et nos sentiments, et rejoignons Dieu dans le courant de sa Parole. Oui, il fallait détruire le serpent d’airain, comme il faudrait détruire aujourd’hui le suaire de Turin.

Et si vous n’êtes pas prêts à envisager une telle idée, qui relève à vos yeux d’un extrémisme méprisable, rendez cependant à Dieu ce qui lui revient : une aire nettoyée non seulement de toute idole, mais aussi de tout commerce. Jésus a surpris tout le monde lorsqu’il est entré dans le temple de Jérusalem, en semant le chaos dans l’organisation religieuse qui s’était greffée alentour, et qui générait un commerce « saint » grâce à la caution religieuse. Tout cela servait aux pélerins, tout cela servait l’institution, tout cela servait la foi … disait-on.

Nous ne sommes pas en train de parler de protection (ou de destruction) d’œuvres artistiques religieuses qui pourraient faire partie du patrimoine de l’humanité. L’iconoclaste n’est pas un taliban. Nous sommes en train d’évoquer une nuisance spirituelle, une interférence dans le témoignage du divin qui relève de la responsabilité du corps de Christ à la face du monde.

Le suaire de Turin est devenu, que nous le voulions ou non, un objet sacré. Et rien n’est sans doute plus nocif spirituellement qu’un objet (ou un homme) qui est sacralisé. La faiblesse du cœur humain est si grande que lorsqu’une chose semblable arrive, elle entraîne inévitablement une si grande somme de dommages, d’erreurs, de séductions, que Dieu sera obligé de profaner un jour ou l’autre tout ce qui s’est engagé dans cette mauvaise direction, hommes ou objets. Même le temple de l’Eternel, d’inspiration céleste à 100%, n’a pas échappé à cette règle. Nous pouvons être certains que cet objet sacré, regardé comme portant l’image de Dieu, produit beaucoup plus de dégâts spirituels que de victoires spirituelles, quand bien même il serait l’image authentique du Christ. Et quand bien même des personnes se convertiraient à sa vue.

 

Conclusion

L’enjeu de la reconnaissance de l’authenticité du suaire de Turin est son statut de relique officielle « adorable ». Rien de moins. C’est une tolérance — pire : une absolution — que ceux qui ont l’Esprit de Christ ne peuvent donner. Parce qu’il y a une contestation en ceux qui ont les yeux ouverts sur l’invisible, et qui ne tirent pas leur foi des choses visibles.

Avertissement : même pour ceux qui pensent être vaccinés contre l’idolâtrie, le suaire de Turin deviendra inévitablement une sorte de preuve de l’existence de Dieu, et la tentation de s’en servir existera donc (ce qui entraînera une validation spirituelle de son existence et son utilité) de la même manière qu’on s’est servi d’un morceau de croix de Golgotha, d’une dent de ste Véronique ou de la structure numérique de la Bible. DIEU NE PEUT PAS EXISTER PARCE QU’ON A PRIS UNE PHOTO DE LUI, ou qu’on possède quelque chose lui appartenant.

Peu importe qu’on raconte que Mme Tartempion a été guérie de son goître en le touchant (ou en contemplant sa photo 3D), ou que le cousin de M. Dupont ait vu l’amour de Dieu (et s’est donc converti) en le regardant droit dans les yeux … Il se passe les mêmes choses devant la grotte de Lourdes, à Metjugorje ou dans certains « saints » endroits (même à Jérusalem, oui !), qui sont des hauts-lieux saturés d’un volume d’énergie spirituelle que chacun interprète comme venant de Dieu, mais qui relève davantage d’une activité intense d’esprits religieux — de ceux qui véhiculent et transmettent des vibrations émotionnelles confondables avec le Saint-Esprit de Dieu.

Sa vacuité spirituelle, devant le trône de Dieu, vaut condamnation, parce qu’il fait beaucoup plus de mal en existant qu’en disparaissant. Car le tribut de sa reconnaissance (secrète[8] ou officielle) sera toujours trop lourd à payer, en terme d’âmes d’hommes dont la religion sait faire commerce …

 

Apocalypse 18/13 : “… Malheur! malheur! La grande ville, Babylone, la ville puissante! En une seule heure est venu ton jugement! Et les marchands de la terre pleurent et sont dans le deuil à cause d’elle, parce que personne n’achète plus leur cargaison,… de cinnamome, d’aromates, de parfums, de myrrhe, d’encens, de vin, d’huile, de fine farine, de blé, de boeufs, de brebis, de chevaux, de chars, de corps et d’âmes d’hommes”.

 

Jérôme Prekel/®Le Sarment2011

article en pdf : Suaire turin final

 

 

 

 

 

 

NOTES


[1] “Il envoya devant lui des messagers, qui se mirent en route et entrèrent dans un bourg des Samaritains, pour lui préparer un logement. Mais on ne le reçut pas, parce qu’il se dirigeait sur Jérusalem. Les disciples Jacques et Jean, voyant cela, dirent: Seigneur, veux-tu que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume? (Luc 9/52).

[2] Jésus se tourna vers eux, et les réprimanda, disant: Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés » (Luc 9/55).

[3] L’iconoclasme (du grec εικών eikon « icône » et klaô « casser ») est, au sens strict, la destruction délibérée de symboles ou représentations religieuses (appartenant à sa propre culture), généralement pour des motifs religieux ou politiques. Ce courant de pensée rejette l’adoration vouée aux représentations du divin, dans les icônes en particulier. L’iconoclasme est opposé à l’iconodulie.

[4] Contrairement à ce que certains pensent, Dieu n’est pas contre le fait que les hommes se fassent des représentations, dessins, sculptures, de la création. Mais ce qu’Il désapprouve, c’est qu’ils se laissent aller à la corruption spirituelle en adorant ces images, en les transformant en idoles, en leur attribuant une vie qu’ils n’ont pas, un pouvoir qu’ils n’ont pas, une réalité spirituelle qui va leur nuire (voir note 5).

[5] Exode 25/19 : fais un chérubin à l’une des extrémités et un chérubin à l’autre extrémité; vous ferez les chérubins sortant du propitiatoire à ses deux extrémités”.

[6] Deutéronome 4/19 : “Veille sur ton âme, de peur que, levant tes yeux vers le ciel, et voyant le soleil, la lune et les étoiles, toute l’armée des cieux, tu ne sois entraîné à te prosterner en leur présence et à leur rendre un culte: ce sont des choses que l’Eternel, ton Dieu, a données en partage à tous les peuples, sous le ciel tout entier”.

[7] (2 Rois 18/4).

[8] Deutéronome 27/15 : “Maudit soit l’homme qui fait une image taillée ou une image en fonte, abomination de l’Eternel, oeuvre des mains d’un artisan, et qui la place dans un lieu secret! Et tout le peuple répondra, et dira: Amen!”

Leave a reply:

Your email address will not be published.

Site Footer