Unplanned (imprévu), raconte l’histoire d’Abby Johnson, porte-parole puis directrice d’un centre de l’organisme Planned Parenthood (Planning Familial). L’héroïne contribue à plusieurs dizaines de milliers d’avortements en conseillant de nombreuses femmes sur leur grossesse, jusqu’au jour où, accompagnant une jeune femme enceinte de 13 semaines, elle assiste à une scène qui la bouleverse. Traumatisée, elle décide dans la foulée de démissionner de son poste pour s’engager dans la lutte contre l’IVG. Elle devient alors militante pour la vie.
Aux États-Unis, le film est sorti en salles le 29 mars 2019, distribué par la maison de production évangélique Pure Flix (qui a produit « Jésus l’enquête »). Certaines chaînes de télévision ont refusé de diffuser des annonces publicitaires pour le film en raison de son sujet. Le film a néanmoins rapporté 21 millions de dollars dans le monde sur un budget de 6 millions de dollars. Il a fait l’objet de nombreuses controverses et opposition par les médecins et les défenseurs du Planning Familial, plusieurs commentateurs le décrivant comme de la propagande politique.
En France, le film est distribué en VOD par Saje distribution, spécialisé dans les films d’inspiration chrétienne, à partir d’octobre 2020, et en DVD depuis février 2021. Il a été diffusé à la télévision le 16 août 2021 sur C81, ce qui a provoqué une vive polémique.
Réactions anti pro-vie
Pour Mihaela-Alexandra Tudor, maîtresse de conférences spécialisée dans le domaine de la religion et des médias, le film traduit « la tendance des évangéliques à participer de manière active à la défense de certaines orientations pro-vie à travers les médias et les productions de la culture populaire … le mouvement évangélique est très engagé aux US dans ce que l’on appelle la religion publique, c’est-à-dire une présence affirmée de la religion dans les sphères politiques et médiatiques ».
En France, une pétition de 20 000 personnes a tenté de peser pour empêcher sa diffusion à une heure de grande écoute sur C8, la chaîne de Vincent Bolloré (l’un des soutiens emblématiques de Nicolas Sarkozy, et propriétaire de Canal+). Plusieurs signalements ont été adressés au CSA à la suite de la diffusion :
“Nos équipes procèderont à un visionnage du film diffusé à l’antenne ainsi qu’à son examen au regard des règles juridiques applicables afin de déterminer s’il y a eu manquement à ces règles. En fonction, le collège du CSA décidera ou pas d’intervenir auprès de l’éditeur”, a précisé le CSA.
Communication d’intimidation
La chaîne C8 avait pourtant fait précéder le film d’un bandeau d’avertissement on ne peut plus clair « En France, toute femme a le droit de disposer de son corps comme elle l’entend. Ce droit est garanti par la loi. Ce récit qui n’engage que son auteur ne signifie pas remettre en question ce droit, mais d’en mesurer l’importance ».
Mais le sujet est sensible au point de pousser à la sur-réaction, comme la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno, qui a souligné qu’il s’agit « d’un outil de propagande anti-avortement abject ». Marlène Schiappa, a saisi l’occasion pour rappeler que l’IVG est « un droit fondamental » et « inaliénable pour toutes les femmes ». La secrétaire d’État Nathalie Elimas a déploré de son côté « un combat sans fin », citant une célèbre phrase écrite par Simone de Beauvoir dans Deuxième sexe.
S’il est juste de rappeler que l’entrave à l’IVG est un délit, condamnable à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende, il est juste également de rappeler que l’article 19 de la convention des Droits de l’Homme stipule que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
La contestation de la liberté d’expression est un marqueur de dictature morale, sauf lorsqu’il y a atteinte à l’ordre public
Un citoyen favorable à l’IVG (et à la loi qui le défend) a parfaitement le droit de militer pour ses convictions, y compris dans l’espace public, mais il n’est en rien fondé à contester cette même liberté à celui qui pense le contraire. Pour le coup, ce serait un vrai marqueur de dictature morale. Le Droit est vivant et évolutif, car les sociétés sont un organe vivant dont la mentalité est en constant changement. Et ce mouvement se nourrit du débat serein et de la confrontation d’idées. Les lois peuvent changer, dans un sens ou dans un autre. L’ADN du christianisme est de défendre la vie, sans exercer de pression, mais en usant de son droit à exprimer sa vision dans l’espace public, par un message, un témoignage, une information, ou une fiction. C’est ce qu’a confirmé, en substance, le Conseil constitutionnel, lors de sa décision (en gras dans le paragraphe suivant).
Rappel de la loi
Loi du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse
« Le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été reconnu par la loi du 27 janvier 1993 et il se caractérise par la perturbation de l’accès aux établissements pratiquant des IVG ou par l’exercice de pressions, de menaces, etc. à l’encontre des personnels médicaux ou des femmes enceintes venues subir une IVG. La loi du 4 août 2004 a étendu le délit d’entrave à la perturbation de l’accès aux femmes à l’information sur l’IVG. La loi étend le délit d’entrave à l’IVG à de nouvelles pratiques qui apparaissent sur internet. Elle punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG. Cela peut s’exercer en perturbant l’accès aux établissements de santé qui pratiquent les IVG ou en exerçant des pressions morales ou psychologiques, des menaces ou des actes d’intimidation à l’encontre des femmes qui souhaitent s’informer ou des personnels médicaux. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel formule deux réserves d’interprétation. Il précise que la seule diffusion d’informations à destination d’un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d’intimidation au sens des dispositions contestées, sauf à méconnaître la liberté d’expression et de communication. En outre, le Conseil précise que le délit d’entrave ne saurait être constitué qu’à deux conditions : que soit sollicitée une information, et non une opinion ; que cette information porte sur les conditions dans lesquelles une interruption volontaire de grossesse est pratiquée ou sur ses conséquences et qu’elle soit donnée par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière ».