Quand leur coeur s’est bien attaché au Seigneur, les croyants font habituellement l’expérience d’une vie de sensations. Cette expérience leur est très précieuse. En général ils entrent dans cette phase de leur marche chrétienne après leur délivrance du péché et avant d’accéder à la vie spirituelle proprement dite. Faute de connaissance, ils prennent souvent ces expériences émotives comme quelque chose de très spirituel et céleste puisqu’ils ont commencé à les vivre après leur délivrance du péché et qu’elles leur procurent un grand plaisir. En réalité, la joie qu’elles leur apportent cause une telle satisfaction qu’ils trouvent difficile de rompre avec elles et de les abandonner.
C’est une période au cours de laquelle le chrétien est sensible à la proximité du Seigneur. Il lui semble parfois être si près que ses mains pourraient presque Le toucher. Le disciple savoure avec avidité la douceur et la délicatesse de l’amour de son Sauveur et il est en même temps saisi par ce qu’il y a d’intense dans son propre amour pour Lui.
Sous ce ciel bleu, la lecture de la Bible devient un vrai plaisir. Plus il lit, plus la joie remplit son coeur. La prière aussi coule de source. Plus il prie, plus rayonnante est la lumière céleste.
Le chrétien qui en est là prend secrètement en pitié ceux qui ne font pas cette expérience. Sa joie lui paraît de la qualité la plus saine.
Mais cette expérience va-t-elle durer ? Peut-on jouir d’un bienfait aussi fréquent et être heureux pour la vie ? La plupart d’entre nous sont incapables de se maintenir longtemps à ce niveau. Et ce qui va le plus affliger ce croyant, c’est qu’après avoir, pendant peut-être un mois ou deux, vécu dans cette euphorie si précieuse à son coeur, il la voit soudain disparaître. Le matin, il se lève pour lire sa Bible, mais où est la douceur qu’il avait coutume d’en éprouver ? Il prie comme auparavant, mais après quelques phrases seulement, le voilà à bout de course ; c’est comme s’il avait perdu quelque chose. Il n’a plus conscience de la présence et de la proximité du Seigneur. Il se sent comme abandonné, dans une tombe. Rien ne peut le remonter. Sa première espérance d’un bonheur durable s’est complètement évanouie.
Dans cette conjoncture, le croyant s’imaginera naturellement qu’il est tombé dans quelque péché et il se met en demeure de passer au crible sa conduite récente. Mais il a beau s’examiner, il ne trouve rien de spécial ; il est ce qu’il était naguère. Aussi est-il complètement déconcerté. Satan y mêle ses accusations, s’efforçant d’accréditer dans son esprit l’explication fausse d’une culpabilité. Le malheureux crie à Dieu pour être pardonné, dans l’espoir de retrouver ce qu’il a perdu.
Cette expérience se prolongeant, il va jusqu’à perdre la notion qu’il avait de la personne de Dieu. Il ne sent plus son amour. Comment supporter un tel abandon ?
Il bataille avec acharnement pour ne pas sombrer dans la désolation. Cet état de stérilité n’aura-t-il point de fin ? Ne va-t-il pas la retrouver, son expérience passée ?
Voici habituellement ce qui arrive.
Après un certain temps, peut-être quelques semaines, l’expérience si désirée lui revient tout à coup. Tout ce qui lui avait échappé lui est restitué. La présence du Seigneur lui est aussi manifeste et précieuse qu’auparavant, les feux de l’amour se rallument dans sa poitrine, la prière et la lecture de la Bible lui sont aussi bienfaisantes que dans les jours révolus. Comme il s’imagine quand même que c’est son infidélité qui est responsable de cette parenthèse, il redouble de vigilance pour préserver ce qui lui a été rendu.
Cependant, si étrange que cela paraisse, et malgré toute sa fidélité, le Seigneur, tôt après, le quitte de nouveau. Finis, ses transports de joie ! Le voilà derechef dans des abîmes d’angoisse, de ténèbres et de stérilité.
Or, si nous lisons la biographe des grands hommes de Dieu, nous constatons que ce type d’expérience fut le lot de beaucoup d’entre eux, après leur délivrance du péché et leur première rencontre personnelle avec Dieu. Le Seigneur commence à leur faire sentir Son amour, Sa présence, Sa joie. Mais bientôt ces impressions disparaissent. Elles reviennent plus tard et leur remplissent le coeur de joie pour s’évanouir de nouveau. Cette alternance de visitations et d’éclipses n’est pas rare, une fois que le chrétien a été délivré de son christianisme charnel.
SENS DE CETTE EXPERIENCE
Le croyant s’imagine être à son point culminant quand il est en possession de la sensation merveilleuse, et au plus bas quand il en est privé. A son sens, sa marche est assombrie par des hauts et des bas en grand nombre. Mais cette interprétation est tout à fait fausse, quoi qu’elle soit assez courante. Si nous ne comprenons pas en quoi elle est fausse, nous subirons des défaites à n’en plus finir. Voyons donc les choses de près.
Le chrétien doit se rendre compte qu’une « sensation » est une des manifestations de l’âme, et rien d’autre. Vivre de sensations, de quelque nature qu’elles soient, c’est vivre selon la chair. Quand le croyant que nous avons décrit est dans sa phase positive, manifestant sa joie, son amour pour le Seigneur et jouissant de Sa présence, il marche par ses sentiments ; il en est de même quand il se trouve dans la phase opposée. Une vie spirituelle authentique n’est jamais dominée par les sensations ou vécue dans le domaine sentimental. Chez les chrétiens d’aujourd’hui, c’est une erreur courante de prendre une vie de sentiments pour une expérience spirituelle. La cause en est que beaucoup d’entre eux n’ont jamais fait l’expérience de la vraie spiritualité. Ils ne savent pas que ces sentiments-là ne sont que de nouvelles manifestations psychiques. Seul peut être regardé comme spirituel ce qui émane de l’intuition. Le reste n’est qu’activité de l’âme.
Et c’est ici que les chrétiens commettent une de leurs plus grossières méprises. Sous le stimulant de leur émotivité, l’enfant de Dieu peut s’imaginer avoir touché le ciel. Et naturellement il s’imagine avoir une vie ascensionnelle. Il ne réalise pas que c’est ainsi qu’il se sent, mais sa sensation n’exprime pas nécessairement une réalité spirituelle. Il croit posséder le Seigneur quand il est conscient de Sa présence, et de L’avoir perdu quand il n’en a plus conscience. Mais l’interprétation qu’il donne à son sentiment est fausse. Que sa vie sensitive soit féconde aujourd’hui et pauvre demain, sa personne n’a pas changé. On peut sentir qu’on progresse et ne pas progresser du tout. On peut se croire un rétrograde et n’être pas du tout revenu en arrière.
Watchman Nee, extrait de « l’Homme spirituel » (éditions Monnier)