La crainte de l’échec a joué un rôle déterminant à l’arrière-plan de ma vie. Lorsque je reviens sur les années écoulées, je m’aperçois que cette crainte a motivé une bonne partie de mes décisions.
Enfant déjà, je choisissais les sports dans lesquels j’étais assez sûr de réussir et j’évitais ceux où je risquais d’être battu. Et il en allait de même dans d’autres domaines. Mes choix étaient presque tous déterminés par un principe identique : ne pas perdre.
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En grandissant, je me rendis compte que mon insécurité tenait surtout à mes doutes sur mes aptitudes d’homme et qu’elle me poussait à me dépasser sans cesse pour me prouver à moi-même que j’en étais un. Mais dans la pratique, j’ai eu beaucoup de peine à prendre des décisions qui auraient mis en jeu ma réputation. Bien que je n’en fusse pas conscient, j’avais peur de l’échec parce que j’imaginais que les conséquences en seraient catastrophiques.
J’aurais dû changer de profession bien plus tôt. Mais j’avais peur. Qu’arriverait-il si je ne pouvais me débrouiller seul ? Si j’échouais ? Alors, pauvre misérable, je gardais mon emploi par peur de l’inconnu. Je tremblais devant le spectre de l’échec. Je redoutais de devenir infirme, moralement infirme pour la vie, si je m’engageais sur le chemin des risques. Ni mes réalisations passées, ni mes aptitudes pourtant réelles ne parvenaient à calmer cette crainte. Alors je restais prisonnier de moi-même.
Devenu chrétien, je compris qu’un comportement aussi timoré ne reflétait pas la vie abondante dont parle le Christ ni la liberté qu’il nous apporte. Mais j’étais poursuivi par ma tendance à l’indécision et par ma peur de l’avenir à chaque fois que je devais prendre seul une initiative. En pratique, je me montrais très décidé dans les domaines où je pouvais dissimuler mes hésitations. Mais intérieurement, je me sentais totalement ligoté lorsqu’il s’agissait d’oser un changement professionnel radical.
Quelques années plus tard, par un concours de circonstances qui me força presque la main, je changeai d’emploi. Et par la suite, en moins de 5 ans, cinq fois encore je vécus semblable changement. Et à chaque fois c’était avec l’absolue certitude que ma nouvelle situation découlait de la volonté de Dieu, telle du moins que je parvenais à la discerner. D’une certaine manière, ce sentiment m’aidait à envisager un échec. Je sais que quelques uns de mes amis ont dû croire que je courais au désastre, ou que j’étais complètement fou. Mais durant ces années-là je travaillais dur, et j’ai fait de passionnantes découvertes, précisément en changeant de sphères d’activités.
J’appris ainsi une chose importante. Rien n’est jamais perdu dans la vie d’un chrétien : aucune décision erronée, aucun changement professionnel, aucun échec personnel. Je m’intéresse profondément à transmettre l’évangile de Jésus-Christ à l’homme moderne. Et mes quatre années de formation à l’administration commerciale, autant que les quinze années passées dans le commerce du pétrole me sont parfois d’un plus grand secours pour discuter avec des laïcs, que les quatre ans consacrés à étudier dans des séminaires de théologie. Chacun de mes changements d’orientation — qui avec le temps se révélèrent inappropriés — devait devenir une sorte de tremplin propre à m’introduire ultérieurement dans le monde spécifiquement professionnel ou social. Mais combien de ces secteurs d’activités m’auraient été fermés si j’étais entré directement dans le “ministère”.
Je me suis fracturé le dos et j’ai pensé que j’allais rester toute ma vie entièrement paralysé; puis mon cercle familial fut anéanti par la maladie et des accidents; et, à ce moment-là, je passai à côté d’une promotion qui me paraissait primordiale. Tous ces drames me parurent sur le moment vains et dénués de sens. Pourtant ces désillusions et d’autres encore sont maintenant les uniques portes qui m’ouvrent les cœurs et les vies d’autres hommes ou d’autres femmes en difficultés. Car beaucoup d’entre eux connaissent déceptions et tragédies; ils éprouvent alors eux aussi de la peine à prendre des décisions qui comportent un risque. Finalement ce fut mon inaptitude à contrôler les circonstances de ma vie qui m’incité à me tourner vers Dieu.
Maintenant, j’ai de moins en moins de peine à prendre des décisions. Ceci provient en partie du fait que même si j’échoue (et ce n’est jamais de gaîté de cœur), je sais qu’alors je verrai comment Dieu se manifeste en chaque cas. L’expérience peut m’aider au moins à comprendre les êtres que je rencontrerai demain ou plus tard et qui auront à traverser la jungle de l’échec et à mourir à l’image qu’ils se font de leur réussite.
J’ai été bien souvent délivré de la crainte de l’échec par la découverte que rien n’est jamais perdu dans une vie avec Dieu.
“Aussi ardemment que je puisse désirer sortir d’ici, je ne crois pas qu’un seul jour de ma captivité ait été perdu. Il est prématuré de dire quel sera le bénéfice du temps que j’aurai passé ici. Mais quelque chose de positif doit forcément en sortir (1). ”
Dietrich Bonhoeffer, prisonnier pour Dieu
Extrait de l’ouvrage “40 pas de vie”, Keith Miller
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(1) Pasteur luthérien évangélique, théologien, écrivain et résistant aux nazis, mort le 9 avril 1945 au camp de concentration de Flossenbürg, en Bavière, près de l’actuelle frontière germano-tchèque .